Changement climatique – La nécessaire adaptation de nos façons de construire Photo : Jonas Kaiser

Les changements climatiques sont maintenant une réalité bien présente au Québec et ils se manifesteront de façon plus intensive à l’avenir. Ainsi, le Québec fera face à un changement significatif et durable de la variabilité du climat et des moyennes climatiques usuelles et on peut d’ores et déjà anticiper l’importance des impacts potentiels des changements climatiques sur les façons de construire.

La conception d’un bâtiment est habituellement faite de façon à ce que celui-ci résiste raisonnablement bien aux aléas climatiques tout au long de sa vie utile. Or, on réalise que plusieurs paramètres de conception sont déjà et seront davantage modifiés. Alors, comment les changements climatiques peuvent-ils réduire la durée de vie des bâtiments au Québec ? Et, en conséquence, comment devrions-nous adapter l’art de concevoir et de construire les nouveaux bâtiments ?

L’augmentation de la fréquence des cycles de gel et de dégel

Les cycles de gel et de dégel induisent, sous l’effet de l’humidité, des contraintes répétées aux composants exposés des bâtiments comme les joints de scellant, les revêtements extérieurs des toitures et des murs, les balcons, les galeries et les trottoirs. Ceux-ci pourraient donc être encore plus affectés par la dégradation, l’effritement, la fissuration et le gonflement, ce qui en accélérera le vieillissement.

On devra particulièrement surveiller les ouvrages de béton et de maçonnerie des vieux bâtiments qui sont plus vulnérables et nécessiteront des réparations plus importantes et beaucoup plus fréquentes dans l’avenir. On surveillera également l’effet de l’action répétée du gel et du dégel sur les scellements et les membranes de toiture et la formation de digues de glace sur les toitures en pente qui peuvent aussi engendrer des dommages et des infiltrations d’eau.

La durée de vie anticipée des composants exposés aux cycles de gel et de dégel pourrait diminuer ; le remplacement serait alors une occasion d’opter pour des techniques et de nouveaux matériaux plus résistants, plus durables et mieux adaptés à la plus grande variabilité du climat.

Pluies hivernales et contenu en eau de la neige
Les redoux et les épisodes de pluie en période hivernale seront aussi plus fréquents et engendreront une augmentation, parfois très importante, du contenu en eau de la neige. Le poids de la neige pourrait alors créer des surcharges aux toitures et aux charpentes des bâtiments. Les bâtiments déficients et ceux conçus trop près des limites structurales pourraient s’effondrer ou connaître des dommages importants. Les vieilles toitures et celles qui accumulent de grandes quantités de neige seront les plus vulnérables et devront faire l’objet de vérifications particulières.

 

Source : Hydro-Québec

De plus, en période hivernale, la neige et la glace font souvent obstacle à l’écoulement normal de l’eau. Ainsi, lors de fortes pluies hivernales, il sera fréquent d’observer des infiltrations d’eau à des endroits parfois inattendus. Les bâtiments au bas des pentes et avec des niveaux de remblais trop élevés pourraient devenir plus vulnérables.

Canicules et augmentation des températures estivales
La fréquence accrue des épisodes de canicule affectera tous les bâtiments du sud du Québec, particulièrement ceux en milieux urbains et soumis aux îlots de chaleur. Les plus vulnérables seront les bâtiments à ossature légère et sans système de refroidissement mécanique, comme les petits immeubles à logements et les petits immeubles commerciaux avec des installations de refroidissement déficientes. On surveillera aussi les immeubles avec des toitures mal isolées et faiblement ventilées. Ces immeubles pourraient connaître des conditions importantes de surchauffe dans les espaces sous les toits.

Photo : Dan Gold

Les murs et les toitures aux couleurs foncées, de même que les surfaces asphaltées, sont les principales causes de l’effet d’îlots de chaleur urbains. Ainsi, les bâtiments et les aménagements extérieurs de ces bâtiments peuvent être à la fois responsables et victimes de l’effet d’îlots de chaleur. L’occultation solaire estivale et la végétalisation des sites seront indispensables pour réduire les impacts de ce phénomène.

De plus, une hausse anticipée des épisodes avec un facteur humidex supérieur à 40 (particulièrement dans les régions de Montréal, de Laval et de la Montérégie) sollicitera fortement les systèmes de refroidissement en raison du fort contenu de l’air en eau. Plusieurs systèmes pourraient ne pas suffire à la demande et ne plus fournir le confort escompté.

Pendant les canicules, les sous-sols habitables pourraient devenir des zones de refuge pour plusieurs petits bâtiments d’habitation qui ne sont pas dotés de refroidissement mécanique. Par contre, on prévoit que la plupart des habitations du sud du Québec, construites sans sous-sol, devront recourir au refroidissement mécanique pour maintenir des conditions de confort acceptables en période estivale. De plus, il sera parfois difficile et très coûteux d’installer du refroidissement mécanique dans de vieux immeubles ou dans des immeubles récents n’offrant pas les espaces nécessaires. Ces bâtiments inadaptables pourraient donc souffrir d’une obsolescence prématurée.

Détérioration de la qualité de l’air et de l’eau
On anticipe un allongement de la saison de croissance des plantes allergènes et une hausse des concentrations de pollen dans l’air. Cela occasionnera une augmentation des infiltrations de pollen dans les bâtiments ventilés naturellement. On s’attend aussi, dans le sud du Québec, à une fréquence accrue des épisodes de smog qui pourrait affecter la qualité de l’air intérieur des bâtiments. Lors de ces épisodes, l’air extérieur contiendra davantage de contaminants (particules ultra-fines et contaminants gazeux) et la qualité de l’air intérieur en sera affectée.

On observe, dans le sud du Québec, une tendance vers la détérioration de la qualité de l’eau potable (bactéries, virus, parasites). Cela pourrait avoir une incidence sur la qualité de l’eau des bâtiments qui ne sont habituellement pas équipés pour traiter l’eau potable.

Inondations
Malheureusement, plusieurs bâtiments sont construits dans des zones inondables. Les inondations étant plus fréquentes, les conséquences et les dommages en seront alors plus importants. Les fortes pluies seront plus fréquentes et engendreront des crues soudaines et incontrôlables. La construction près des cours d’eau sera donc de plus en plus problématique, car les réelles mesures de protection des bâtiments sont très limitées.

La construction en zone inondable, lorsqu’elle est autorisée, nécessite la mise en œuvre de précautions particulières pour protéger le bâtiment et l’environnement. Lorsqu’on choisit de conserver le sous-sol, celui-ci devient relativement peu utilisable, car il risquera d’être régulièrement inondé. Plusieurs bâtiments inadaptés à ces conditions devront être déplacés, rénovés ou tout simplement démolis.

Comme pour les îlots de chaleur, les bâtiments et les aménagements extérieurs de ces bâtiments peuvent être à la fois responsables et victimes des inondations. Les surfaces extérieures imperméables, comme les aires de stationnement et le rejet quasi instantané de l’eau de pluie à l’égout pluvial, accentuent les problèmes d’inondation en milieu urbain. Les bâtiments implantés en terrain plat, au bas d’une pente ou dans une cuvette sont les plus à risque de subir des inondations.

Hausse de la fréquence des temps violents
Tempêtes, verglas, pluies abondantes et vents violents défieront plus souvent l’intégrité des bâtiments. Le soulèvement et l’arrachement des revêtements par le vent et les infiltrations d’eau sous la pression du vent sont et seront ainsi encore plus fréquents et dommageables.

Le choix des produits et des méthodes d’installation utilisées pour les revêtements extérieurs des murs et des toitures seront maintenant plus critiques que jamais. Par exemple, soulignons ici l’importance d’utiliser un système d’écran pare-pluie en équilibre de pression et d’éviter les systèmes où le revêtement est installé directement sur le panneau de support sans chambre d’air derrière le revêtement.

Il en est de même pour le choix des portes et des fenêtres qui peuvent, d’un produit à l’autre, offrir des performances très variables sur le plan de la résistance au vent et de l’étanchéité à l’air et à l’eau.

Autres impacts et vulnérabilités
Les menaces climatiques sont multiples et les conséquences seront très variables selon les régions et les événements. Les glissements de terrain, l’érosion côtière et la fonte du pergélisol, par exemple, bien que limités à des régions particulières, sont aussi des menaces pour les bâtiments et peuvent mener à des dommages très importants allant jusqu’à la destruction complète des bâtiments.

Source : UQAR

On le constate, les bâtiments devront être plus résistants aux épisodes de gel et de dégel, aux vents violents, aux pluies abondantes, aux inondations et ils devront être mieux adaptés aux canicules, aux épisodes d’humidex élevé et à la mauvaise qualité de l’air extérieur. Ils consommeront plus d’énergie pour le refroidissement mécanique en été, mais aussi significativement moins d’énergie pour le chauffage en hiver. Sur ce dernier aspect, il y aura un avantage : la consommation globale nette d’énergie des bâtiments du Québec pourrait diminuer sensiblement.

Les nouvelles menaces climatiques du Québec ne sont en général qu’un accroissement de la fréquence et de l’amplitude des phénomènes déjà connus et non l’apparition de nouveaux phénomènes. Pour cette raison, la plupart des solutions techniques dans l’art de construire existent déjà, mais elles ne sont habituellement pas appliquées avec toute la rigueur nécessaire. Et c’est, paradoxalement, pour cette même raison que les changements de pratique seront difficiles à implanter, car les menaces climatiques peuvent encore paraître relativement hypothétiques, alors que les habitudes, elles, sont bien ancrées.

Les nouveaux bâtiments ont une longue vie utile et ils requièrent conséquemment une planification rigoureuse basée sur l’anticipation du risque. Les professionnels avertis utiliseront l’analyse de la vulnérabilité aux changements climatiques et l’analyse du cycle de vie pour déterminer les adaptations nécessaires des façons de construire un nouveau bâtiment. Tout reposera donc sur l’anticipation et la gestion de ces nouveaux risques. Dans certains cas, comme les risques d’inondation, les mesures à prendre sont immédiates et le concepteur du bâtiment ne peut se délester de cette responsabilité. Dans d’autres cas, comme l’accroissement des épisodes de surchauffe estivale, le concepteur peut évaluer le risque avec le donneur d’ouvrage et rendre le bâtiment adaptable sans en faire une adaptation immédiate. On comprendra donc qu’à défaut d’une adaptation immédiate, la seule autre solution sera de prévoir une adaptabilité accrue des bâtiments. Le risque des bâtiments inadaptables est qu’ils pourraient faire face à une forme d’obsolescence prématurée qu’on pourrait appeler « l’obsolescence climatique des bâtiments ».

Mais il faut aussi savoir que les bâtiments ne sont pas tous égaux face aux changements climatiques. Si les nouveaux bâtiments, ceux qui sont encore sur les tables à dessin, peuvent avoir l’avantage d’une conception améliorée, les bâtiments les plus anciens et déficients, quant à eux, seront indéniablement les plus vulnérables. L’adaptation d’un bâtiment existant peut se réaliser à différents moments de son cycle de vie, comme durant la planification d’un agrandissement ou lors de travaux de rénovation, d’entretien ou de mises aux normes.

Pour ces bâtiments, l’inspection et l’entretien réguliers et plus fréquents des composants seront certainement parmi les mesures les plus pertinentes pour prévenir les bris ou les dommages importants liés au climat.


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