Certifications vertes – Vitrine sur les nuances Conçue par VArquitectos, la tour Bolueta à Bilbao (Espagne), plus haute construction certifiée Passive House au monde. Photo : VArquitectos

L’usage de certifications vertes connaît un fort engouement ces dernières années, notamment en raison de la montée en puissance du développement durable dans le secteur du bâtiment. L’intégration de connaissances écologiques dans la conception de projets viserait à favoriser des procédés de construction plus respectueux de l’environnement, coordonnés à l’aide d’équipes multidisciplinaires où la plupart des acteurs de l’industrie du bâtiment doivent intervenirensemble de la conception à la livraison du projet. Cependant, bien que cette approche du « mieux-concevoir⁄mieux-construire » ait permis de susciter la recherche et le développement de matériaux plus durables, elle seconcentrerait principalement sur une conception théorique énergétique au détriment de l’efficacité et du confort véritables du bâtiment une fois mis en service.

L’essor de vert et l’offre variée en certification

Depuis une vingtaine d’années, le secteur de la construction vit une transformation des pratiques. Dans l’objectif de réduire la demande d’énergie et les émissions qui lui sont associées, tout en soutenant l’adaptation et la résilience au changement climatique, plusieurs lois, stratégies et plans d’action ont été développés pour créer un contexte plus propice à l’essor de collectivités sobres en carbone et, conséquemment, de bâtiments durables axés sur la réduction des impacts environnementaux. Les premières approches de bâtiments certifiés, en vertu de l’évaluation de la consommation d’énergie, ont été contestées, ces dernières années, par plusieurs experts et professionnels du développement urbain qui les
jugeaient réductrices.

Aujourd’hui, bien des labels aux approches plus holistiques se font compétition et ont des visions expansionnistes pour percer de nouveaux marchés nationaux et internationaux. C’est bien plus qu’une simple tendance au bâtiment vert : c’est une façon de transiger des affaires. Outre les certifications LEED, Novoclimat, Green Globes Design et BOMA BEST qui comprennent le plus de bâtiments certifiés au Québec, les certifications HQE, BREEAM et Passive House, de leur côté, couvrent davantage le marché européen. C’est toutefois LEED qui s’impose toujours comme la référence internationale et qui demeure la plus populaire en Amérique du Nord pour ceux qui visent une certificationenvironnementale et le positionnement de leurs immeubles sur un marché d’investisseurs fortement compétitif.

Palais des congrès de Montréal – Laboratoire d’agriculture urbaine au toit – Certification environnementale BOMA BEST. Source : Palais des congrès de Montréal

Le processus de conception intégrée : facteur de succès des certifications

Bien qu’un bâtiment soit certifié énergétiquement performant, il n’est pas nécessairement jugé durable. En effet, ce qui différencierait un bâtiment durable d’un bâtiment à haute performance énergétique serait la prise en compte «de la performance environnementale sur l’ensemble du cycle de vie et l’approche holistique intégrant des considérations culturelles, sociales et économiques». Afin d’atteindre cette haute qualité de projet qui contribue globalement à un cadre bâti durable, la conception intégrée est maintenant fortement préconisée. Selon Ricardo Leoto, candidat au doctorat à l’École d’architecture de l’Université de Montréal, le but de cette approche est de briser la linéarité du processus traditionnel de conception : « Il faut favoriser les occasions de synergie avec des équipes multidisciplinaires mobilisées dès le début de la conception du projet et prendre des décisions qui découlent directement des objectifs fondamentaux dont on a convenu ensemble. » M. Leoto précise que ce consensus est dégagé au sein des parties prenantes avant d’entreprendre le concept préliminaire.

Aller plus loin et de façon plus efficace

Or, cette approche qui transcende la simple coordination entre les professionnels de l’équipe de conception n’est pas exigée systématiquement pour obtenir une certification verte. Lorsqu’elle fait partie des critères d’évaluation de la grille de pointage, le contenu du processus et son niveau de raffinement ne sont pas évalués ; un rapport est transmis et jugé satisfaisant s’il démontre que le processus de conception intégrée a été utilisé. C’est-à-dire, qu’il est toujours possible de travailler en vase clos, par discipline ou spécialité, alors qu’il est reconnu que ce processus fragmenté et séquentiel est un obstacle à la création de solutions optimales dans le cadre d’un projet durable. Pour éviter d’en faire un point facile à collecter, la conception intégrée doit être rémunérée à sa juste valeur. En ce sens, la méthode d’honoraires à forfait peut devenir sa principale barrière.

M. Leoto regrette le fait que le processus de conception intégrée se termine à la livraison d’un projet LEED, par exemple. Le cycle de vie complet du bâtiment (conception, construction, exploitation et occupation) n’est donc pas couvert. « Il n’y a pas de suivi du processus de conception intégrée lorsque le projet
est fini. Il n’y a pas une prise de conscience de tout ce qui a été acquis comme compétences durant la conception pour développer un bâtiment performant. » Conséquemment, le bâtiment pourrait opérer de façon sous-optimale comparativement aux projections promises et ne jamais perdre sa certification . M. Leoto croit fermement qu’il est nécessaire d’aller plus loin : « Il faut évaluer et mesurer les résultats réels d’efficacité du bâtiment vis-à-vis les GES, les économies d’eau et d’énergie durant l’occupation du bâtiment. » Afin d’améliorer la performance des bâtiments, il faut consigner les données, les évaluer et les comparer, et ce, d’un bilan à l’autre. Ainsi, on tirerait davantage profit si on assurait le maintien de la performance du bâtiment en économie d’énergie, qu’il soit certifié ou non, que si on s’en tenait à une note théorique basée sur un système de points.

Siège social d’Axa, Bruxelles – Certification BREEAM. Source : A2RC Architects

 

Prendre du recul et situer l’humain

Il faut tenter de nuancer notre appréciation des certifications, croit André Bourassa, architecte au cabinet Bourassa Gaudreau. Selon lui, les certifications ont un aspect mercantile qui profite beaucoup aux entreprises étrangères de l’industrie du bâtiment. Il peut, parfois, y avoir une contradiction entre les objectifs du développement durable vus sous la lunette d’un autre pays et les décisions qui sont prises en vertu des grilles de pointage qui sont utilisées pour juger de la performance d’un bâtiment au Québec. « Comment peut-on justifier que des immeubles démesurément vitrés soient certifiés LEED alors qu’un verre énergétique est cinq fois moins isolant qu’un mur adéquat ? Si on réussit à maintenir ces immeubles dans un état de température adéquat en été comme en hiver, c’est parce qu’on les équipe de systèmes mécaniques très performants, mais très énergivores aussi. » M. Bourrassa plaide pour prendre un certain recul et entamer une réflexion en amont de la certification. « Mon souhait ? J’aimerais beaucoup que l’on se penche sur la philosophie de la certification. À savoir, qu’est-ce qui nous pousse à être certifiés – nous, ou lesbâtiments que nous concevons – nous, ou les bâtiments que nous construisons. »

En outre, Jean-Paul Boudreau, architecte chez JPB architectes, insiste sur le fait que les certifications ne doivent pas dicter notre rapport au développement durable. « Ce n’est pas parce qu’on a une certification LEED, que l’on a fait notre devoir en matière d’environnement. » Selon lui, trop d’objets d’architecture sont construits au détriment de bons projets qui prennent en considération l’environnement dans lequel le bâtiment se construit. Les projets devraient plutôt s’appuyer sur un meilleur rapport au monde, dans son sens le plus large : relation de l’immeuble à la rue, au quartier, à la ville, à la nature et à l’humain pour favoriser les rapports sociaux et les solutions plus organiques. L’obtention d’une certification ne serait pas nécessairement ce qui fait la force d’une démarche de bâtiment durable. « Cela prend un peu de philosophie, de l’éthique même. C’est avant tout se questionner sur les gestes que l’on pose et les répercussions sociales et environnementales que l’on va engendrer. » M. Boudreau juge que l’on doit revenir à la dimension humaine de l’architecture, à un rapport au monde plus équilibré, beaucoup moins axé sur la technologie très énergivore et à l’esprit marchand qui domine actuellement. « Le jour où l’on va retrouver cette connexion-là, je pense que l’on va faire une architecture complètement différente et beaucoup plus respectueuse de l’environnement. »

 

Siège social du groupe Attijariwafa, Rabat Souissi, Maroc – Certification HQE. Source : AWB – Architecte : Omar Alaoui

Quant au concept de conception intégrée, Jean-Paul Boudreau l’aborde sous un angle beaucoup plus élargi, incluant nécessairement aussi l’aspect réalisation. « Nous devons plutôt l’aborder selon la désignation et la définition de la Commission de coopération environnementale (NDLR : www.cec.org/fr). Il est plus approprié de parler de conception et de réalisation intégrées de projet. Conception et réalisation sont interreliées », note l’architecte. À son avis, le secteur de la construction a longtemps souffert d’un manque d’intégration. Inspiré par le Guide de conception et de réalisation intégrées du CEC 5 , l’architecte appuie l’observation de la Commission présentée dans l’introduction de ce guide : « Le statu quo pousse une variété d’entreprises et de particuliers à participer à des phases d’un projet et à ne prendre des responsabilités qu’à l’égard d’éléments qui entrent dans leur champ de compétence ou de responsabilité. Par exemple, les architectes sont chargés de la planification et de la conception ; les ingénieurs, de la structure, de la mécanique, de l’électricité ; l’entrepreneur, de construire le bâtiment. Les propriétaires, eux, sont confrontés aux conséquences. » L’approche du CEC  pousse aussi à intervenir « hors vase clos », constate M. Boudreau, qui réfère à un autre passage du Guide : « Cette méthode de travail en série permet rarement de construire un bâtiment qui est optimisé comme un système. Le résultat final peut plutôt laisser à désirer et ne satisfaire même pas les besoins du propriétaire. Au fil des ans, différentes approches ont été élaborées en vue d’aider les professionnels à exécuter un projet de construction de façon plus collaborative. Ces approches comprennent : le partenariat, un processus de conception intégrée, une conception et une construction sans gaspillage, une démarche intégrative ou une réalisation intégrée de projet. Chaque approche a aidé les équipes de projet à connaître une plus grande réussite en favorisant un certain degré d’intégration dans les responsabilités des divers membres de ces équipes. » Pour y arriver, le Guide énonce cinq principales étapes à mettre en place afin que les équipes de projet obtiennent le genre d’intégration qui aura des effets transformateurs et tangibles : harmonisation des valeurs, harmonisation des objectifs, choix d’un modèle fonctionnel et d’une structure contractuelle, planification du processus et suivi du déroulement.

Jean-Paul Boudreau rappelle que la vocation de chaque projet sur le plan de la responsabilité écologique est devenue cruciale en cette période de crise environnementale. Une approche plus réaliste face à cette crise consiste donc à chercher et à adopter des voies qui permettent le renouvellement de nos pratiques et d’échapper à une « mentalité en vase clos ».

Établir des objectifs ambitieux : un appel au gouvernement Malgré certaines lacunes, on s’entend à dire que les certifications ont contribué à l’émergence de l’industrie du bâtiment durable au Québec. Plusieurs professionnels ont adopté la démarche de façon importante, tout comme les promoteurs et les donneurs d’ouvrage. Il s’agit d’un outil intéressant, qui aurait avantage à être développé et soutenu par l’État. Pourquoi ? Parce qu’en l’absence d’un « mieux- concevoir⁄mieux-construire » réglementé par l’État, le Québec perd une forte influence et une expertise essentielle face aux intérêts privés des certifications étrangères. « Si, à un moment donné, un critère devient contre-productif, il faut être capable de rétablir ça pour enfin acquérir une expertise qui nous
est propre en matière de développement durable », insiste André Bourassa.

La Maison du développement durable, premier bâtiment certifié LEED Platine NC au Québec. Source : MDD – Architecte : MSDL 

À elles seules, les certifications ne peuvent résoudre l’adaptation aux changements climatiques. « On veut que l’industrie de la construction diminue son impact
sur l’environnement, mais que fait le gouvernement pour y arriver ? » souligne Ricardo Leoto. Le Québec a besoin d’un encadrement propice à l’essor de bâtiments durables axés sur une véritable réduction de l’empreinte environnementale. Si l’État cherche à promouvoir les systèmes normalisés d’évaluation et les conduites responsables dans le domaine du bâtiment, il gagnerait à exiger des modalités de suivi et de surveillance une fois le bâtiment complété. Pour ces trois experts, il ne fait pas de doute que l’État doit encadrer les pratiques et accorder des certifications seulement en échange d’objectifs environnementaux ambitieux soutenus par une vision et des balises à la hauteur des enjeux et du climat québécois.


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