CADENCE… DÉCADENCE
L’architecture collaborative pour assurer la conservation des territoires fragilisés
Marilène Blain-Sabourin
Des territoires vastes et riches sont aujourd’hui le théâtre d’exploitations des ressources naturelles laissant un paysage dévasté. Les exploitations forestières, minières et pétrolières transforment le territoire et produisent des conséquences environnementales considérables et, bien souvent, irréversibles.
Savane équatoriale du parc national Conkouati-Douli, République du Congo. Parc créé pour protéger les écosystèmes des forages marins, des exploitations minières et des coupes forestières sévissant en République du Congo. Photo : Marilène Blain-Sabourin.
L’idée que le paysage soit lisible en tant qu’objet énergique réduit les relations contenues dans ce territoire spécifique à une base de données quantifiable. Ultimement, cette idée est tout à fait inséparable d’une série de transformation dans la perception géographique. Comme le mentionne Gavin Bridge dans « The Hole World », ces territoires d’exploitation ne coïncident plus avec les notions de limites territoriales, de développement national et de culture locale. L’expansion des forages sur des territoires toujours plus vastes cartographie la croissance dynamique et globale des relations économiques internationales. La sublimité de la nature est confondue, oubliée au profil des multinationales. Les frontières sont interchangées, interconnectées au détriment de la conservation des écosystèmes et des populations locales. Seule la rapidité d’exploitation, de consommation et de surenchères dicte la cadence de cette extraction.
Lagune de Conkouati-Douli, République du Congo. Avec la création du parc et la sensibilisation des populations locales, la surpêche a été remplacée par une pêche responsable permettant aux peuples Vili une réappropriation de leur territoire. Photo : Marilène Blain-Sabourin.
L’humanité a perdu son équilibre et son rythme, jadis au diapason alangui des écosystèmes au sein desquels elle progresse. Elle a préféré dicter, contrôler, subordonner la fluidité qu’offrent les paysages culturels plutôt que de suivre, avec une sagesse et une intelligence délicate, ses méandres majestueux et libres. Les frontières des territoires autrefois malléables, abstraites et intemporelles deviennent contraignantes et irrespectueuses d’une nature et d’une culture indigènes. De ce fait, les dimensions poétiques et philosophiques de penser la relation humaine avec les limites du territoire sont présentement perdues.
Pourtant, plusieurs recherches scientifiques et analyses tentent de conserver ces relations territoriales, culturelles et écologiques. Il s’agit de revenir à une écoute sensible de cette nature délaissée et à l’observation tangible des impacts de la perdition des écosystèmes sur les populations locales et leur qualité de vie. Il s’agit de revenir à une cadence adoucie et à une requalification des limites présentement rigide pour arrimer l’homme à son milieu naturel.
Cette approche demande la redéfinition des rôles du professionnel intervenant sur ces territoires. Elle exige la révision du rôle de l’architecte et l’élargissement de son domaine d’application. Puisque la discipline offre la possibilité de formaliser, d’organiser et de qualifier ces relations, l’architecture devient un moteur de changement pour les locaux alors que l’architecte devient le canalisateur d’une intelligence collective. En ce sens, l’emploi d’une architecture collaborative peut avoir une résonance sur la culture et la tradition alors que le travail de l’architecte peut incarner un support au développement écologique et collectif de ces territoires fragilisés. Plus précisément, le travail de l’architecte permet la réappropriation symbolique et durable des territoires par les communautés présentes.
Retour de l'éléphant de forêt sur le territoire du parc national Conkouati-Douli depuis qu'une gestion écologique et pérenne du parc est faite par la Wildlife Conservation Society, en partenariat avec les populations locales. Photo : Marilène Blain-Sabourin.
L’aspiration à comprendre la mémoire territoriale et culturelle d’un lieu se concrétise en concevant d’abord l’espace territorial, puis l’architecture, afin de créer une grande variété d’espaces en respect de l’environnement et des communautés locales. Cette fine progression d’échelles bonifie les transitions, les échanges, l’appropriation des espaces et l’expérience collective que procure l’architecture. En appliquant de nouvelles métaphores architecturales au développement d’un territoire protégé, la sensibilité de l’architecte génère un cadre au déploiement de cette architecture participative, tout en encourageant le transfert de connaissances et l’autosuffisance de populations vulnérables.
Inspiré des techniques de construction traditionnelles, la construction collaborative d'un pavillon a permis le développement touristique du parc national Conkouati-Douli, la création d’emplois ainsi que la sensibilisation des touristes aux enjeux de conservation. Photo : Louis-Philippe Lévesque.
Brièvement testée en collaboration avec la Wildlife Conservation Society, dans le cadre d’un développement écotouristique d’un parc national en République du Congo, cette architecture participative élève la qualité de vie de la population locale en leur redonnant un pouvoir décisionnel, en les sensibilisant à l’importance de la conservation et en donnant une valeur ajoutée au territoire à protéger.
Pour y parvenir, il suffit de ralentir cette cadence décadente. Prendre le temps d’être authentique, à l’écoute de l’autre, d’échanger et de collaborer. Il suffit de contempler la nature dans laquelle nous évoluons pour comprendre sa complexité, sa beauté et sa fragilité. Il suffit, en tant qu’architecte, de prendre le temps d’être et d’exprimer la vénusté de la nature humaine grâce aux nombreuses connaissances spécifiques de la discipline. Il suffit de transformer le savoir-faire en savoir-être à travers la création pour restituer un équilibre présentement corrompu.