Portrait des lieux de culte nés de l’immigration récente Intérieur de la pagode bouddhique vietnamienne Quan Am (Montréal). – Photo : Louis Lapointe

Les recherches ayant mené à la publication d’un article consacré au patrimoine religieux du Québec (FORMES, vol. 18, no 4 – mars 2023) nous ont fait réaliser qu’un patrimoine parallèle a, somme toute, laissé peu de traces dans notre mémoire collective. Nous avons ainsi tenté de brosser un tableau des lieux de culte nés de l’immigration récente et de leur impact sur notre tissu urbain.

Serge Filion, urbaniste et géographe, soutient qu’il est important de reconnaître l’identité unique de notre patrimoine, afin d’enrichir sa mixité géopolitique, et ce, grâce à l’apport de nouveaux citoyens qui choisissent de vivre ici et de contribuer à faire fructifier ce patrimoine pour les générations futures. Selon lui, une nouvelle révolution culturelle viendra de la part des jeunes, en favorisant l’éloge d’une culture locale et en optant pour des solutions croisées, impliquant des expertises et des points de vue divers.

On sait qu’Expo 67 fut un événement charnière, car les Québécois se sont ouverts davantage au vaste monde et certains d’entre nous se souviennent de pavillons teintés d’exotisme, tels que ceux de la Thaïlande, de la Birmanie et du Maroc. Comme il ne reste désormais aucun témoin matériel de ces trois pavillons et tant d’autres, il est intéressant d’observer qu’outre quelques symboles ou éléments architecturaux intégrés dans un ensemble, relativement peu d’exemples d’architecture vernaculaire témoignent de la présence des communautés culturelles ayant évolué dans notre paysage urbain, et plus spécifiquement celles implantées au cours des dernières décennies. Toutefois, une exception s’impose, soit l’existence d’églises orthodoxes traditionnelles situées à de nombreux endroits, de Mansonville à Rouyn-Noranda, en passant par Rawdon. Cela dit, les traces les plus évidentes de la présence de récentes vagues de migrants sont surtout perceptibles au niveau des lieux de culte, présence rendue possible grâce à la mobilisation des groupes concernés.

Historique

Après la Seconde Guerre mondiale, l’un des premiers témoins d’une nouvelle tendance fut l’achat, rue Saint-Urbain, d’un espace qui fut occupé par une communauté bouddhiste japonaise. À leur arrivée au pays, la plupart des communautés ne disposaient pas nécessairement des moyens financiers nécessaires à la construction de temples ou de mosquées dans un style architectural qui soit conforme à celui de leur pays d’origine. De plus, cette immigration coïncide plus ou moins avec une société d’accueil davantage sécularisée et l’acquisition d’églises désaffectées allait, dans certains cas, servir d’alternative viable, afin d’obtenir un point d’ancrage permanent. Les églises protestantes, plus petites et plus sobrement décorées, ont eu la cote de faveur, parce que les investissements nécessaires à leur appropriation restaient moins élevés que pour ceux ayant servi au culte catholique.

Un aspect intéressant à noter réside dans le fait que plusieurs congrégations optaient, selon leur capacité de mobilisation, pour des espaces disponibles situés, tant à l’étage supérieur qu’au niveau du sous-sol. À ce titre, un des derniers édifices appartenant à la communauté chinoise de Montréal abrite un temple extrêmement discret, compte tenu de sa localisation au niveau du sous-sol, mais dont la survie est liée à la gentrification du secteur. Notons que le quartier chinois montréalais est, depuis la disparition de celui de la vieille capitale, le seul restant au Québec.

Vue intérieure du temple bouddhiste chinois situé dans un sous-sol. Quartier chinois de Montréal. – Photo : Louis Lapointe

 

Les « boat peoples », quant à eux, avaient fondé des pagodes bouddhistes dans de simples appartements et souvent, à la suite de plaintes en raison du « bruit » et de l’achalandage de plus en plus important, on a dû se relocaliser dans un lieu plus adéquat.

À la suite de l’achat d’un restaurant chinois sur la rue Chambly à Longueuil, la communauté de réfugiés tibétains procède, quant à elle, à des modifications importantes, bien que la coquille extérieure trahisse encore la fonction originale de l’édifice. C’est surtout l’aménagement intérieur qui a donné lieu à une salle de prière parfaitement conforme à la tradition. Ici, comme à quelques autres endroits, la notion de lieu identitaire évolue et ne constitue plus le domaine exclusif d’un seul groupe ethnique. Dans le cas présent, il s’explique par la popularité du Dalaï-lama, alors que dans le cas de certains lieux nés de la contre-culture, il semble que les frontières parfaitement étanches entre les pratiquants s’estompent progressivement.

Façade du temple bouddhiste tibétain de Longueuil. Si l’intérieur a fait l’objet d’une décoration authentique, la coquille extérieure ne démontre pas une véritable appropriation du lieu. – Photo : Louis Lapointe

 

Mise en contexte

Certaines religions nécessitent un lieu adapté à leurs besoins, qu’il s’agisse de la religion sikhe, du bouddhisme, de l’hindouisme ou de l’islam. Parmi ceux-ci, on notera la préparation et la consommation de repas communautaires. La musique, ou la voix humaine jouissent d’une importance capitale dans certains cultes et on est ainsi sensible à opter pour un lieu ayant un minimum d’écho et de réverbération ; l’acoustique des lieux et la nécessité de se couper des bruits de la ville sont donc d’ordre primordial. Certaines églises possédant peu de valeur patrimoniale, selon la société d’accueil, se distinguent parfois par leur qualité acoustique remarquable. À cet effet, les églises protestantes de type « non-conformistes » (église protestante indépendante de l’église officielle Anglicane) étaient semblables à des auditoriums et les architectes de l’époque portaient une attention particulière à cette question, puisque le prêche, plutôt que le rituel, était fondamental.

Réalisations récentes

Les vagues migratoires ont souvent eu pour effet de revitaliser les croyances religieuses et le retour vers les traditions ancestrales, mais cela dit, les fidèles ne représentent pas forcément une entité uniforme ou compacte au sein d’un territoire donné.

Le premier temple hindou montréalais s’établit dans le local d’un syndicat de mécaniciens situé rue Bellechasse, et ce, après avoir occupé de façon ponctuelle des salles louées dans un YMCA, ainsi qu’au restaurant d’un des membres de cette communauté. Par la suite, la communauté tamoule occupant un espace du lieu mentionné ci-haut, entreprend la construction du temple Murugan à Dollard-des-Ormeaux. C’est un parfait exemple d’architecture de tradition shivaïte (plus spécifique au sud de l’Inde) avec son gopuram caractéristique (tour marquant l’entrée des lieux et richement décorée).

Tour principale du temple hindou Murugan de Dollard-Des Ormeaux, construit dans le plus pur style du sud de l’inde, et une vue intérieure). – Photos : Louis Lapointe

 

Les architectes ont, entre autres, œuvré à la résolution d’un problème technique n’ayant aucunéquivalent en Occident. Dans les temples où ont lieu des rituels d’ablution des statues, on déverse de grandes quantités d’un mélange fait à base de lait, de miel, de pétales de fleurs et d’une quarantaine d’autres ingrédients. Il a donc fallu dissimuler sous la salle de prière un système de tuyauterie servant à évacuer les liquides nécessaires au culte, tout en respectant les normes de construction en vigueur. Seuls quelques drains discrets trahissent l’existence du dispositif. (cf. L’architecture hindoue à Montréal,Voir, 13 avril 2006, Yves Prescott). 

Au fil du temps, certains groupes ont procédé à la réalisation de projets ayant un grand impact visuel dans notre tissu urbain. Visible depuis l’autoroute 20, le gurdwara Guru Nanak (temple sikh) de l’arrondissement de LaSalle occupe son emplacement actuel depuis 2001. Le complexe se distingue par un mât haut de 52 mètres (172 pieds) ainsi que l’aménagement d’un sous-sol presque entièrement occupé par la cuisine communautaire devant répondre à la distribution de nourriture servie 24 heures sur 24, 7 jours sur 7.

Vue d’ensemble de l’imposante silhouette du temple sikh (LaSalle). – Photo : Louis Lapointe

 

Les ressortissants musulmans du sous-continent indien ont pour leur part joué un rôle fondamental dans l’établissement de mosquées sur le territoire montréalais.

La mosquée Al-Omah Al-Islamiah située à proximité du métro Saint-Laurent est un bon exemple d’intégration urbaine. Située sur la rue Saint-Dominique, sa présence discrète est toutefois identifiée par sa coupole dorée et son minaret. Comme le faisait remarquer Andrew Peterson (Dictionary of Islamic Architecture), le minaret n’est pas un élément présent dans toutes les mosquées ; chez nous, il joue habituellement un rôle strictement décoratif.

Mosquée Al-Omah Al-Islamiah, située sur la rue Saint-Dominique, à proximité du métro Saint-Laurent. – Photo : Louis Lapointe

 

La mosquée Makkah Al-Mukkaramah située sur le boulevard Gouin Ouest à Pierrefonds-Roxboro fut, quant à elle, construite dès 1988. À comparer à l’exemple précédent où l’édifice s’inscrit dans un secteur construit depuis de nombreuses années, la construction de la mosquée de l’Ouest-de-l’Île permet plus de flexibilité, grâce à un terrain dégagé.

Façade et entrée de la mosquée Makkah Al-Mukkaramah, située à Pierrefonds-Roxboro. – Photo : Louis Lapointe

 

En dehors de Montréal, certains projets ambitieux ont vu le jour, dont notamment celui mis de l’avant par la communauté bouddhiste vietnamienne Tam Bao. Le monastère, construit dans le canton de Harrington, occupe un terrain couvrant 337 acres ou 1,3 km carrés. En s’éloignant ainsi du Montréal métropolitain, le coût d’achat d’un terrain étant moindre, il est possible d’envisager la création de complexes architecturaux multifonctionnels à grande échelle.

Un point pourrait, en conclusion, avoir un impact significatif sur la prolifération des lieux de culte nés de l’immigration. Un article paru dans Le Devoir le 8 juin 2019 mentionnait le fait que l’exemption de taxes consentie aux communautés religieuses remonte au début de la colonie, alors que ces lieux offraient divers services à la population, notamment en éducation, en santé et pour les soins aux aînés. Cet article faisait état d’une situation qui a beaucoup changé depuis et, du fait que le congé de taxes représente des profits non négligeables pour les municipalités. L’abrogation de cette loi aurait un impact majeur sur l’avenir des communautés les plus vulnérables, qu’elles soient récemment implantées ou de vieille souche. Cela dit, il est difficile de savoir exactement où en est le dossier à l’heure actuelle.


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