Créer avec la préfabrication ou préfabriquer pour créer WikiCommons

Aujourd’hui comme hier, la construction reste peu industrialisée. Aujourd’hui comme hier, la préfabrication apparaît comme une solution.

Aujourd’hui comme hier, la construction reste peu industrialisée, avec des bâtiments qui se construisent comme un prototype, comparativement au secteur automobile. Aujourd’hui comme hier, la préfabrication apparaît comme une solution à la pénurie de logements et de main-d’œuvre en plus de promettre une meilleure qualité de construction. Mais une maison n’est pas une voiture. L’architecture est le premier des arts, et les architectes entretiennent un rapport étroit avec la créativité. Et contrairement au constructeur automobile qui fait fabriquer les pièces dont il a besoin par ses fournisseurs, l’architecte doit travailler avec des composants, voir des systèmes, déjà fabriqués par les manufacturiers.

Cette relation de l’architecte avec la créativité et les manufacturiers a été explorée en table ronde dans le cadre de l’exposition Architectures en production, Visées de la préfabrication présentée l’an dernier au Centre de design de l’UQAM.

En ouverture de la table ronde, Hugo Gagnon, architecte associé, NEUF architect(e)s, faisait remarquer que se loger fait partie des besoins primaires définis par le psychologue Abraham Maslow. La maison, c’est le chez-soi et on veut pouvoir agir pour le modeler à nos goûts et à notre image. « La maison, c’est un endroit où on a la possibilité d’intervenir et si on dit au client qu’on lui fait une maison 100 % sur mesure sans qu’il ait un mot à dire, il y a de la résistance », disait Hugo Gagnon, signifiant par là que la réticence à la préfabrication ne vient pas que des architectes. « Se loger est un droit fondamental de l’être humain et il faut le faire dans le respect », reconnaissait feu Marc-André Bovet, fondateur de BONE Structure. Mais selon lui, « l’industrialisation est un mal nécessaire » pour pallier le manque de logements et de main-d’œuvre. « Si on veut contribuer à réduire la pénurie de logements rapidement et à des coûts abordables, il faut passer par l’industrialisation. Un artiste vend son petit canard gossé au canif plus cher que celui qui utilise une machine à commande numérique, abondait Stéphane

Lessard, directeur corporatif, Maisons Laprise. L’industrialisation représente des investissements considérables et il faut pouvoir produire un grand volume. » Mais cette production de pièces standardisées ne vient-elle pas à l’encontre de la créativité des architectes ? questionnait Mario Bourgault, professeur à Polytechnique Montréal, titulaire de la Chaire industrielle de recherche Pomerleau sur l’innovation et la gouvernance des projets de construction.

Habitat Puerto Rico – Système constructif pour Operation Breakthrough, Moshe Safdie (1968), Fonds Moshe Safdie, Collection d’architecture canadienne, Bibliothèque de l’Université McGill. – Source : Safdie Architects – Dessin par Bruce Johnson

 

Créer avec la préfabrication

Le niveau de préfabrication dans un projet peut être à géométrie variable. « Dans l’idée de migrer vers la construction hors site, l’objectif du professionnel est d’augmenter la liste de composantes préfabriquées à l’intérieur d’un projet qui, dans son entièreté, ne l’est pas », nuance Hugo Gagnon. Stéphane Lessard illustre les variations possibles autour des systèmes préfabriqués de Maisons Laprise. « Chez nous, on utilise différents systèmes constructifs, ce n’est pas modulaire à tout prix. On peut avoir des systèmes modulaires ou hybrides. » Faisant référence au jouet LEGO, il estime que la standardisation n’est pas incompatible avec la créativité. « Dans mon temps, il n’y avait pas beaucoup de blocs LEGO et on pouvait faire n’importe quoi avec. Aujourd’hui, il y a une panoplie de blocs, ils sont standardisés et ils ne sont pas fabriqués selon les désirs du client. »

« Alors, donnez-nous des blocs avec suffisamment de couleurs, de grandeurs et de configurations possibles et ça va devenir un jeu extrêmement créatif, rétorquait Dominique Laroche, architecte principal, BGLA architecture + design urbain. Je ne vois pas de grandes limites si on a suffisamment de composantes. » Bruno Verge, architecte associé, BOON architecture, estime aussi que la préfabrication laisse de la place pour la créativité, car même avec des composantes standardisées, le bâtiment doit être conçu en fonction du site. « Il faut rester connecté avec l’environnement et penser comment un assemblage spécifique de composantes récurrentes permet d’arriver à une conception bioclimatique sur mesure. » Il propose aussi de regarder dans un immeuble où la standardisation est acceptable et où privilégier la personnalisation. Un catalogue peut proposer une variété de logements types, mais la configuration des logements et l’aménagement des espaces communs doivent être personnalisés. « Il y a des potentiels de répétitivité. Il faut accepter comme architectes d’abandonner une partie de notre créativité sur des éléments répétitifs pour nous concentrer sur les éléments plus importants pour la communauté du bâtiment ou la communauté dans laquelle s’inscrit le bâtiment. » Sur la même idée, Hugo Gagnon propose de voir « la création comme un processus où on apprend à jongler avec des composantes, des systèmes de modules qui doivent être rassemblés dans un contexte donné. »

Connaître les pièces du jeu

Pour jouer aux échecs, il faut connaître les pièces et les règles du jeu, et les deux joueurs doivent appliquer les mêmes règles. Pareillement en architecture préfabriquée, les architectes doivent connaître les composantes préfabriquées et leurs caractéristiques, mais architectes et manufacturiers ne partagent pas toujours les mêmes règles du jeu. « Les systèmes et les modules viennent avec des critères d’exigence, un cahier de charges, une rigueur ; de l’autre côté, il y a des professionnels qui sont dans la création et qui arrivent avec leurs idées. Par méconnaissance, les fils ne se touchent pas toujours très bien », relève Hugo Gagnon.

Habitations individuelles en forme de cylindres superposés préfabriqués, Guy Dessauges artiste peintre, Brevet EU/US 207101 (1967). – Source : Collection privée de Hans Demarmels

 

Éventuellement, les architectes doivent adopter les règles élaborées par les manufacturiers, comme dans un projet où BOON architecture s’est assuré que les dessins étaient compatibles avec les systèmes de plusieurs manufacturiers. « L’idée du jeu et de la maîtrise pour s’habituer à contrôler les différents paramètres est intéressante, et c’est un défi que la construction modulaire doit relever », pense Bruno Verge.

Or, justement, Marc-André Bovet estime que la créativité n’est pas l’apanage des architectes. « Le design n’est pas que l’architecture, c’est aussi le design d’un produit et d’un service. Il faut penser à un design intégré à l’intérieur d’un cercle et non dans une hiérarchie temporelle. » Il décrit une expérience réalisée avec des enfants qui devaient construire une maison avec des blocs LEGO, alors que deux des enfants n’avaient jamais manipulé ces jouets. « Une fois qu’ils ont catché comment assembler deux LEGO, on a vu la pupille se dilater. La créativité se mettait en marche », raconte-t-il. L’idée est que le processus de conception et de construction soit imbriqué dans le matériau, et c’est ce que les manufacturiers doivent viser. L’industrie doit regarder comment imbriquer un processus dans le matériau, et non décider ou tenter d’interpréter ce que les architectes vont en faire. « Il faut regarder le matériau avec les yeux de ceux qui vont l’utiliser », résume-t-il. Autrement dit, si les architectes doivent créer avec la préfabrication, les manufacturiers doivent de leur côté préfabriquer pour créer.

Pour faciliter l’arrimage entre les systèmes préfabriqués et la conception architecturale, Mario Bourgault s’interroge : comment faut-il outiller les architectes pour adapter leur conception à la production hors site ? En réponse, Dominique Laroche demande si des manufacturiers pourraient agir à titre de consultants en phase de conception pour s’assurer d’avoir des systèmes préfabriqués compatibles avec le projet d’architecture. Il admet cependant que le défi serait de trouver la formule d’appels d’offres adéquate. Hugo Gagnon souligne que l’Association des manufacturiers de bâtiments modulaires du Québec (AMBMQ) pourrait proposer des intervenants aux architectes, mais il craint que les manufacturiers n’aient pas les ressources pour accompagner tous les projets d’architecture susceptibles d’être réalisés en préfabrication. C’est pourquoi Bruno Verge envisage plutôt la constitution d’un organisme tierce partie, sur le modèle de Cecobois, qui pourrait conseiller les professionnels, donner de la formation tout en faisant la promotion de la préfabrication.

Peanut Cabin (Projet 124) – Micromaison pour deux montée sur grue à flèche, Future Systems, Jan Kaplický (1984). – Source : Deutsches Architekturmuseum, Frankfurt am Main, © Eliška Kaplický Fuchsová, Praha

 

Combiner les systèmes pour multiplier la créativité

L’architecte qui, pour un projet donné, adopte les systèmes préfabriqués d’un manufacturier trouvera matière à exprimer sa créativité, à condition de coller sa créativité aux règles du jeu de ce manufacturier. S’il travaille avec un autre manufacturier, il devra apprendre de nouvelles règles du jeu. Or, « il y a tellement d’industries modulaires qui ont chacune leur recette. Comme architectes, on ne peut pas connaître tous les systèmes modulaires. Il va falloir que l’industrie s’uniformise pour qu’on puisse s’amuser avec des règles qui sont possibles chez plusieurs manufacturiers », envisage Bruno Verge.

Combiner les systèmes de plusieurs manufacturiers dans un même projet décuplerait le potentiel créatif de la préfabrication. Carlo Carbone, architecte et professeur à l’École de design de l’UQAM, a alors expliqué comment Golan Levin, un artiste et professeur à l’Université de Carnegie Melon, a inventé un kit de construction universel pour connecter des pièces de jeux différents comme les LEGO et le Meccano. « Il a développé un jeu universel avec des pièces qui sont des adaptateurs de différents jeux, de sorte qu’on peut composer des architectures incroyables. Je crois qu’il ne faut pas juste développer la notion de bloc LEGO, mais aussi développer des adaptateurs. »

« Peut-être qu’on peut faire un projet avec du BONE Structure et des composantes de Maisons Laprise, abonde Marc-André Bovet. Il faut travailler en symbiose dès le premier jour du projet. » Le projet GoKit, subventionné par la Société d’habitation du Québec, s’inscrit dans cette veine. « C’est un projet collaboratif avec plusieurs manufacturiers modulaires, décrit Stéphane Lessard. Un rez-de-chaussée de Maisons Laprise, le premier étage par Pro-Fab, et les autres par Expert Maison et Le Maître Constructeur Saint-Jacques. On travaille sur une plateforme commune versatile et qui offre une bonne liberté. C’est comme ça qu’on va faire en sorte que les architectes adoptent nos produits. »

 

TBSMC – Systèmes constructifs pour les environnements tropicaux, Peter Hübner + Frank Huster (1976). – Source : Peter Hübner + Frank Huster, © photo Peter Hübner

 

Partager et s’ouvrir

À l’interface entre les architectes et les manufacturiers se trouvent les dessins avec une diversité de logiciels et de façons de dessiner les éléments. « Si on dessine un bâtiment sans penser au modulaire et qu’on envoie ça chez Laprise, ils vont devoir le redessiner. Comme architectes, si on était capables d’avoir de la part du manufacturier une famille BIM avec toute une explication du système et les détails, on pourrait faire un lien entre nos objectifs de performance, le produit et avoir une garantie », imagine Bruno Verge. « Cela nous permettrait aussi de transférer les dessins vers nos machines sans être obligés de refaire le plan de l’architecte. Non parce qu’il a mal fait le plan, mais parce qu’il ne l’a pas fait à notre façon », abonde Hugo Gagnon. « Chez NEUF architect(e)s, on maîtrise nos familles de cloisons, de murs, mais on n’est pas rendus à dialoguer avec les autres », reconnaît Hugo Gagnon, en ajoutant « qu’il faut absolument éliminer les notions de compétition, il faut converger pour collaborer. Il y a tellement urgence de transformation dans l’industrie que la culture open source est essentielle ». C’est sur cette idée que Hugo Gagnon lançait en conclusion de la table ronde : « Il faut arrêter de tout garder pour nous et faire des partages d’expériences afin que nous puissions rattraper les industries qui ont avancé plus rapidement que nous. »


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