Art public – Marquer l’esprit du lieu Elias Djemil

Chaque année, un nombre important de productions en art public sont réalisées sur tout le territoire québécois, autant lors d’événements d’art éphémère que dans le cadre de la politique du 1 %. Nous retenons, dans l’actualité récente, le travail de deux artistes et d’un collectif qui ont su concevoir leurs œuvres en étroite interaction avec le site choisi.

Ces réalisations témoignent d’une dynamique relationnelle convaincante entre les éléments matériels (le lieu physique) et immatériels (la mémoire du lieu). Leurs qualités d’intégration en font des œuvres dignes de mention.

Écho

Une imposante sphère se dresse dans une ruelle étroite du Vieux-Québec. Fabriquée à partir d’une ossature en bois et d’une coquille en fibre de verre, l’œuvre monumentale de Jeffrey Poirier est recouverte de briquettes collées une par une par l’artiste. Confectionnée avec le même matériau que celui utilisé lors de la construction des édifices qui l’environnent, la sphère intrigue dans sa relation au lieu physique. Elle se confronte à la verticalité des immeubles tout en donnant l’illusion qu’elle a été façonnée dans le même temps historique. Sur le plan spatial, la sphère géante semble dévaler la ruelle tout en l’obstruant, ce qui crée une tension. Le spectateur vit une nouvelle expérience physique sur la relation entre un objet de grande dimension et son rapport à l’échelle humaine.

Écho, œuvre monumentale de Jeffrey Poirier. Photo : Stéphane Bourgeois 

Confectionnée avec le même matériau que celui utilisé lors de la construction des édifices qui l’environnent, la sphère intrigue dans sa relation au lieu physique. Elle se confronte à la verticalité des immeubles tout en donnant l’illusion qu’elle a été façonnée dans le même temps historique. Sur le plan spatial, la sphère géante semble dévaler la ruelle tout en l’obstruant, ce qui crée une tension. Le spectateur vit une nouvelle expérience physique sur la relation entre un objet de grande dimension et son rapport à l’échelle humaine.

 

Actif dans le domaine des arts depuis une dizaine d’années, la pratique de Jeffrey Poirier s’oriente principalement autour de l’installation in situ. Il a notamment exploré les limites entre l’architecture et la sculpture dans une série d’œuvres qu’il nomme Les Présentoirs. Il s’agit de structures hybrides et de dispositifs de monstration qui mettent en corrélation la culture matérielle et ses liens avec l’environnement. L’artiste souligne que les installations qu’il élabore s’apparentent à des espaces interrogeant divers niveaux de perception entre le caractère immersif de l’architecture et les préoccupations purement formelles de la sculpture. Tout comme Écho, ce sont les propriétés esthétiques, géométriques des œuvres et leur mode d’assemblage qui concourent à créer chez Jeffrey Poirier des effets visuels et à générer des volumes qui le distinguent sur le plan plastique.

L’œuvre Écho a été réalisée en 2019 dans le cadre de l’événement Passages Insolites, de l’organisme EXMURO arts publics de Québec. Depuis 2014, la manifestation demeure un incontournable pour tous ceux et celles qui s’intéressent à l’art public dans une optique de recherche et d’expérimentation. Fondé en 2007, l’organisme a pour objectif de favoriser de nouveaux contextes de création à l’intérieur d’un environnement spécifique qui concourt à la production d’œuvres défiant les modes et les codes habituels de la représentation de l’art public.

L’étreinte des temps

Dans la clairière située sur le sommet Outremont du mont Royal se dresse discrètement la silhouette d’un saule pleureur à l’allure courbée formé de tiges et de branches en bronze, une œuvre collective de la Société des archives affectives (Véronique La Perrière M. et Fiona Annis), en collaboration avec Nadia Myre et Malaka Ackaoui.

La base de l’arbre se ramifie en de nombreux filaments qui s’entrelacent, rappelant que l’individu est toujours la somme de plusieurs. L’arbre, dont certaines branches touchent le sol, perpétue le souvenir et l’empreinte d’êtres humains aux origines anciennes qui nous ont précédés. L’œuvre s’érige dans un cadre paysager et son insertion dans la nature évoque de multiples aspects liés à l’occupation du site et à sa mémoire. Pour les conceptrices de l’installation, planter un arbre, c’est croire en la continuité, à la durée et à la suite du monde. L’étreinte des temps a été construite à partir de composantes de l’arbre lui-même, des rameaux de saule dont les propriétés botaniques agissaient comme un vieux remède contre la douleur. Suivant les techniques de la vannerie, ceux-ci ont ensuite été moulés et coulés en bronze, assurant ainsi leur pérennité.

L'étreinte des temps, œuvre collective de la Société des archives affectives. Photo : Marc-Olivier Becotte

Commandé par le Bureau d’art public de Montréal, l’installation s’érige dans le nouveau parc Tiohtià:ke Otsira’kéhne, qui signifie en langue mohawk « autour du feu, sur l’île où le groupe se sépare ». L’emplacement est emblématique. Depuis des temps immémoriaux, le mont Royal a été le théâtre d’une vie active, un endroit de rencontres et de relations, un lieu de réunion. Des sépultures très anciennes, tout comme un cimetière contemporain, témoignent également de la valeur sacrée de ce territoire. Avec la création de ce nouveau parc et de l’œuvre qui s’y rattache, la Ville de Montréal reconnaît la place essentielle que les peuples autochtones ont occupée et occupent toujours dans l’histoire et le développement de Montréal.

Aux membres de la Société des archives affectives, Véronique La Perrière M. et Fiona Annis, se sont jointes l’artiste amérindienne Nadia Myre (lauréate en 2014 du prix Sobey) et l’architecte paysagiste Malaka Ackaoui. Vouée à la production et à la conservation d’archives par le biais de collaborations, cette société s’intéresse, entre autres, aux relations qui existent entre les faits et la fiction, le documentaire et l’imaginaire. Dans le cas de Véronique La Perrière M., l’ensemble de sa pratique s’organise autour de questionnements reliés à la mémoire et aux ancêtres, la temporalité et l’identité, de même qu’à l’invisible et le fantasmagorique. Ses compositions témoignent également de la fragilité et du mystère de l’existence.

Notons que Les archives affectives ont gagné le concours d’art public pour la réalisation d’une œuvre à l’intérieur de la bibliothèque de l’hôpital du CHUM à Montréal. Intitulée Ad Astra, la réalisation consiste en une série d’archives de messages envoyés, de manière poétique et métaphorique, vers les étoiles du futur. Sollicitant les patients, les employés et les chercheurs du CHUM, les messages seront transformés afin de générer des représentations de type astral grâce à l’apport de la neuroscience. L’ouvrage, qui se veut une démarche collective, sera inauguré à la fin de 2020 et affichera sur les murs et à l’intérieur des archives de la bibliothèque une collection de mots, de prières, d’espoirs et de craintes.

 Atome ou le fruit des étoiles

Placée perpendiculairement à la façade du nouveau complexe culturel Le Diamant à Québec se dresse une étonnante structure ronde et transparente. Création de Claudie Gagnon en collaboration avec Ludovic Boney, l’œuvre composée de cinq immenses cercles de verre trempé de 4,5 m de diamètre emprunte des motifs à la forme traditionnelle d’un diamant, mais renferme aussi d’autres éléments connexes – dont une rose des vents, un flocon de neige, un iris et un capteur de rêves. Les parties extérieures sont bombées et les motifs intérieurs des couches de verre sont décalés pour multiplier les angles et les effets. Des anneaux d’aluminium viennent encercler les morceaux de verre, coupés en pointes et retenus par un scellant. Le tout assemblé donne l’impression d’une enseigne kaléidoscopique de nature abstraite en remplacement de l’ancienne enseigne du Cinéma de Paris, qui était également de forme circulaire.

Sur le plan de la conception, les différentes composantes multifacettes de l’ouvrage se révèlent par les rayons du soleil qui percutent les surfaces de verre. Le soir, l’œuvre translucide s’éclaire grâce à un dispositif intégré dans sa structure et des fibres optiques installées entre les couches des vitres produisent un léger et subtil mouvement. Comme le note Claudie Gagnon, son ouvrage présente des apparences diverses, qu’il soit vu de nuit comme de jour. Celui-ci évoque aussi la lentille d’un instrument scientifique, le prisme qui altère la perception de la réalité en faisant dévier et réfléchir la lumière.

 

Atome ou le fruit des étoiles, création de Claudie Gagnon en collaboration avec Ludovic Boney. Photo : Elias Djemil

Sur le plan symbolique, la réalisation propose plusieurs significations. D’abord, il y a le nom choisi pour le bâtiment, Le Diamant, qui se réfère au cap sur lequel la ville de Québec s’est édifiée au cours de son histoire et à la pierre précieuse aux propriétés translucides. Il y a aussi la référence au titre Atome ou le fruit des étoiles. D’une part, le mot atome se réfère au symbole constituant de la matière formée de plusieurs particules élémentaires. D’autre part, l’autre constituante du titre se rapporte à une légende issue de l’Inde qui dit que les diamants sont le fruit des étoiles, prêts à être cueillis par les humains. Finalement, le choix du verre fait écho au concept architectural où les éléments vitrés sont omniprésents. L’œuvre, qui a des propriétés à la fois de réflecteur et d’émetteur de lumière, entre ainsi en dialogue avec le mur-rideau du bâtiment et en poursuit le prolongement.

L’artiste Claudie Gagnon se démarque par une pratique protéiforme qui se décline en plusieurs médiums : la sculpture, l’installation, le collage, la photographie et l’art vidéo. Elle a récemment participé à l’exposition De Ferron à BGL au Musée national des beaux-arts de Québec. Au chapitre de l’art public, nous pouvons apprécier ses réalisations à la bibliothèque Monique Corriveau à Québec, au Centre culturel Le Carré de Victoriaville et au Musée d’art de Joliette.

Par essence symbolique, l’art dans l’espace public doit, selon nous, tenir compte de l’esprit des lieux, de son environnement et de son histoire pour générer une intégration réussie. C’est ce que nous avons voulu vous faire partager à travers les trois exemples que nous avons sélectionnés.

 


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