Mario Gagnon – Propos d’un designer industriel en temps de confinement

Mario Gagnon, designer industriel émérite (Association des designers industriels du Québec - ADIQ), membre de notre comité consultatif, se questionne sur nos façons de travailler. «Après tout ce qui s’est écrit, dit et redit concernant la COVID, aurons-nous la chance de voir pointer des changements sur notre façon de travailler ? Est-ce là une opportunité inespérée ou un feu de paille que l’on verra s’éteindre ? À nous de décider ! »

Quel modèle d’affaires ?

Après tout ce qui s’est écrit, dit et redit concernant la COVID, aurons-nous la chance de voir pointer des changements sur notre façon de travailler ? Est-ce là une occasion inespérée ou un feu de paille que l’on verra s’éteindre ? À nous de décider !

Rien de neuf me direz-vous, mais en cette période de pandémie, comment peut-on canaliser tous ces inconforts, ces craintes et surtout cette incertitude à laquelle nous faisons face dans des projets hors norme ? Comment nous, professionnels du design, pouvons influencer et pousser ce changement ? Ne sommes-nous pas là pour ça ? Ne sommes-nous pas des initiateurs de facteurs de changement ? Je crois sincèrement que toutes situations, bonnes ou mauvaises, créent des occasions. Ça pourrait être le cas de la COVID-19 !

Le télétravail

Nous savons tous que ces grands bouleversements affectent beaucoup de facettes de notre vie, mais à terme, quelles leçons en retenons-nous ? Depuis le début du cloisonnement, nous avons tous été obligés d’apprivoiser le télétravail. Il est clair que ce mode d’opération vient de prendre une nouvelle définition. Une nouvelle définition due au fait que nous avons TOUS été obligés d’y participer. C’est là toute la différence, nous avons TOUS dû nous y contraindre. Pour ou contre, nous nous sommes embarqués. Pas le choix. Quelle incroyable occasion d’apprentissage collectif !

Alors que le télétravail était un choix encore très isolé il y a quelques semaines seulement, il est maintenant un mode opérationnel répandu et même apprécié. Il est clair que cette situation doit influencer « les actions en design ».

Avant cette pandémie, une très faible minorité d’employeurs l’encourageait ou du moins, en faisait une pratique étendue dans leurs entreprises. Les baby-boomers l’ont regardée de haut, la génération X a flirté avec la méthode tandis que la génération Y y voyait l’avenir. Quant à la génération Z qui arrive en force, elle pourrait être celle avec qui de nouveaux scénarios devraient être élaborés. Mais bref, aujourd’hui, on se rend compte par la force des choses, mais surtout par tous les outils de communication qui existent, que ça fonctionne et que ça pourrait devenir une pratique beaucoup plus élargie.

Pour y arriver, il faudra cependant un minimum d’installation. Des équipements flexibles, des espaces flexibles, des aménagements flexibles, bref beaucoup de « flexibilité » jumelée à la discipline. Ce sont des facteurs comme ceux-là qui pourraient définir nos axes de changement dans le descriptif de nos projets et le résultat de nos livrables. Il existe bien des produits et des réalisations qui vont en ce sens, mais ils demeurent encore isolés par secteur, par leur coût, par les exigences des clients ou encore par leur application ou simplement par ignorance.

Mon espace de travail réalisé en réaction. Le plus important, un bon fauteuil ergonomique.

Ce serait intéressant d’imaginer, à partir de nos expériences mutuelles en design et de cette COVID, comment nous pourrions revisiter le modèle d’affaires en influençant la conception des espaces qui, par la suite, influencerait les objets qui les composent et redéfinirait le mode opérationnel pour revenir, au terme de cet effet domino, à un élément central et déterminant : le modèle d’affaires.

Le modèle d’affaires

Si nous avions cette sagesse de nous laisser influencer, d’écouter et de cocréer sur de nouvelles bases imposées par un évènement inattendu, nous pourrions redessiner tout le contexte. Quelle opportunité !

On peut se demander aujourd’hui, quel est le besoin réel de tous de nous rendre au bureau tous les jours et nous retrouver assis, ensemble, dans un même espace ! Pourquoi tout ce matériel, ces espaces aménagés à grands frais (qui constituent une large part des frais fixes) et toutes ces heures perdues à se déplacer ? Pourquoi ne pourrait-on pas les utiliser en alternance ?

Fini cette appropriation d’espace avec nos photos de famille et nos objets de voyage. Fini les souliers sous le bureau et les tasses de café sales. Il faut faire autrement ! On pourra s’inspirer du système des 5S de Toyota, mais il faudra l’adapter pour être en respect avec notre culture et notre besoin des autres.

L’impact sur le modèle d’affaires actuel serait énorme, car il bouleverserait tout l’équilibre (mobilier et immobilier) en place. Ces changements auraient aussi un impact important sur la circulation, sur le nombre incroyable d’heures perdues en déplacement, sur les émissions de gaz, sur les dépenses (et les revenus) dans les transports en commun et ultimement, sur la qualité des heures passées en famille.

La réalité ou la fiction ? Source : TD

Nous avons lu que depuis la pandémie, Venise voit les poissons dans ses canaux et Mumbai voit le bleu du ciel. C’est donc faisable de revenir en arrière et avoir un impact significatif sur notre qualité de vie.

Tout un bon bouleversement possible, mais en sommes-nous rendus là ? Est-ce que ce satané virus pourrait réussir à ébranler notre créativité et ouvrir une porte aux changements ? Car il faut que nous parlions de changements après une telle expérience. Ça ne peut pas être pareil ! Ça ne peut plus être pareil !

Plusieurs initiatives nationales et internationales ont été mises en branle pour ouvrir des discussions et permettre de trouver de nouvelles pistes. C’est le cas de la WDO (World Design Organisation) qui s’est jointe à la DFA (Design For America et IBM) pour élaborer des pistes de solutions qui touchent le produit, mais surtout, le service, le support à la communauté et aux individus à travers le monde. Le côté « service » est devenu un descriptif très important en design en raison de sa vision élargie et inclusive (suivre l’évolution du projet de la WDO).

Plus près de nous, plusieurs entreprises ont aussi attaqué une partie du problème en proposant des solutions pour des visières, pour l’isolement qui sera requis au retour massif dans les écoles, pour des stations de lavage de mains permanentes et autres. Ce sont des projets qui sont aussi en « réaction » à cette pandémie, il faut maintenant les transformer en « actions » pour les rendre pérennes.

Nous, acteurs en design, avons une grande occasion de changer nos paradigmes dans nos expertises respectives pour penser et innover autrement. Ne manquons pas cette chance. Cependant, comme dans tout bouleversement, il faudra aussi penser à l’impact inversé de ce télétravail. Il y a quelques années, le phénomène des cellulaires nous a fait perdre une partie de notre indépendance, cette coupure essentielle entre le travail et notre vie personnelle. Ce nouveau modèle viendra-t-il empiéter encore un peu plus sur notre intimité ? Quand travaillerons-nous et quand nous divertirons-nous ? Comment tracer la ligne ?

La preuve que la grande majorité des changements qui se font risque aussi de se faire au détriment de quelque chose. Que sera cette chose dans ce modèle de travail ? Que sera le modèle d’affaires ?


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