Priorité piétons et cyclistes Frédérique Ménard-Aubin

Une tendance claire se dessine dans les politiques d’aménagement et d’urbanisme ces dernières années. Elle consiste à donner davantage de place aux piétons et autres transports actifs, comme le vélo dans les villes. Lors du dernier colloque de l’Association des architectes paysagistes du Québec (AAPQ), portant sur la mobilité durable, cela se reflétait clairement.

Le colloque s’est ouvert le matin avec la conférence de Gil Penalosa, président de l’organisme World Urban Parks. Fervent partisan des communautés saines, il a lancé un vibrant appel à promouvoir la mobilité durable et le verdissement des villes. Bref, adopter des mesures qui vont toutes dans le sens du développement durable.

Les trois autres conférenciers du matin ont chacun défendu, à leur façon, l’idée qu’il fallait aménager les villes de façon à les rendre plus attrayantes et plus sécuritaires pour tous ceux qui se déplacent activement.

Trois promenades urbaines, trois contextes différents 

D’entrée de jeu, Sylvie Miaux, professeure-chercheuse au Département d’études en loisir, culture et tourisme à l’Université du Québec à Trois-Rivières, a fait part des résultats d’une recherche qu’elle a faite sur les promenades urbaines. Elle s’est intéressée à trois promenades aménagées dans trois pays différents : la promenade Samuel-De Champlain à Québec ; la promenade sur les bords de l’Èbre, à Saragosse, en Espagne ; et les quais de Bordeaux, à Bordeaux, en France.

Station Victoria, Promenade Samuel-de-Champlain, Québec – Photo : Marc Cramer
 

Promenade sur le bord de l’Èbre, Saragosse, Espagne – Photo : Sylvie Miaux

Le point commun de ces promenades, c’est qu’elles se trouvent toutes les trois en bordure d’un fleuve. En se basant comme cadre théorique sur le livre de Jan Gehl intitulé Pour des villes à l’échelle humaine (éd. Écosociété, 2012)Mme Miaux a examiné si ces promenades avaient été aménagées de façon à respecter la philosophie de l’auteur, selon qui une ville à l’échelle humaine doit être animée, saine, durable et sûre. Des attributs qui siéent bien aux promenades.

Promenade sur les quais de Bordeaux – Photo : Sylvie Miaux

La chercheuse croit que les espaces publics, comme les promenades, doivent être dédiés aux transports actifs tout en accordant une place aux loisirs. Ils doivent aussi être connectés avec le reste de la ville et, idéalement, donner accès à la nature. Car la présence de la nature a une capacité attractive indéniable. Ces éléments ont un effet positif sur la fréquentation.

Lors de sa recherche, Mme Miaux s’est rendu compte que chacune des promenades a ses particularités. Elles comportent également une scénographie différente. Ainsi, sur la promenade à Québec, le citoyen peut accéder au fleuve, et même toucher à l’eau. À Bordeaux, cela n’est pas possible, car trop dangereux. Par contre, on y met en valeur le patrimoine par des jeux d’ombre et de lumière et on y a développé des jardins. À Saragosse, les espaces verts sont nombreux et ont été pensés dans l’optique de préserver les écosystèmes.

Mme Miaux a trouvé le parc Superkilen à Copenhague particulièrement intéressant à cet égard. « C’est un projet qui a été pensé avec la population, où on a mis l’accent sur les loisirs, dit-elle. On y trouve différents modules de jeux, dont un ring de boxe, une glissade. Cela en fait un parc vivant et très fréquenté. »

Code de la rue, priorité piétons

Le deuxième conférencier de la matinée était l’ingénieur Jean-François Bruneau, du Centre interuniversitaire de recherche sur les réseaux d’entreprise, la logistique et le transport (CIRRELT). Fort d’avoir réalisé plusieurs mandats en transport, le ministère des Transports du Québec lui a confié le projet d’élaborer un code de la rue pour le Québec. L’initiative provient de la Belgique, où l’on valorise l’idée d’une rue pour tous. Ce concept de rue n’est donc pas une rue piétonne, mais plutôt une rue partagée (où, parmi tous les usagers, les piétons ont priorité). M. Bruneau préfère plutôt parler de zone à priorité piétonne (ZAPP), terme qui lui apparaît mieux décrire le concept.

Une première étape importante dans la conception de ce code consiste à garantir la sécurité de tous sur la voie publique. M. Bruneau a donc sondé des gens pour vérifier s’ils étaient d’accord pour que le principe de prudence apparaisse dans le Code de sécurité routière du Québec (principe qui consiste à exiger de la part des automobilistes et autres conducteurs de véhicules motorisés qu’ils fassent preuve d’une prudence accrue à l’égard des usagers plus vulnérables comme les piétons, les personnes à mobilité réduite et les cyclistes). La réponse a été très positive : 89 % des 2 500 personnes sondées s’y sont dits favorables.

Il a ensuite vérifié auprès de 236 experts quelles seraient les meilleures mesures piétonnes à adopter. Parmi 20 mesures proposées, 3 sont ressorties. Par ordre, il y a les avancées de trottoir, les passages piétonniers plus visibles et les trottoirs traversants.

Dans le monde, il existe déjà plusieurs exemples de ZAPP. Lors de sa présentation, M. Bruneau a mentionné notamment l’exemple réussi d’Exhibition Road à Londres. Plus près de nous, à Montréal, il y a aussi quelques exemples à plus petite échelle. La rue Émery dans le Quartier latin en est un. Le concept est en voie de faire boule de neige.

Une autre « zone de rencontre », mieux connue au Québec sous la forme de rue partagée, verra le jour sur la rue Ontario dans le quartier Hochelaga-Maisonneuve. La zone de rencontre Simon-Valois aux abords de la place Simon-Valois accordera la priorité aux piétons et aux cyclistes entre les rues Nicolet et Bourbonnière. La vitesse des automobilistes y sera limitée à 20 km/h. Ce projet est une collaboration de l'arrondissement de Mercier−Hochelaga-Maisonneuve et le consortium lauréat composé de civiliti, François Courville, UDO design et AXOR Experts-Conseils. Un autre projet semblable est en cours d’aménagement sur la rue Saint-Paul dans le Vieux-Montréal. Il s’agira de la plus longue rue partagée à Montréal (1,3 km de long).

Aperçu de la zone de rencontre Simon-Valois dans le quartier Hochelaga-Maisonneuve, à Montréal. L’inauguration de cette rue partagée aura lieu en novembre 2020.

Un nouveau guide technique en gestation

Puisque la relation entre les usagers actifs de la voie publique et les automobilistes évoluent, l’organisme Vélo Québec a décidé de produire un nouveau guide technique qui tient compte de cette réalité. L’urbaniste Bartek Koworowski, chargé de projet à Vélo Québec, planche sur cette nouvelle version. La dernière datait de 2009.

Dans la nouvelle mouture, on trouvera les nouvelles pratiques d’aménagement telles que les vélorues, les rues partagées, les pistes cyclables unidirectionnelles et les intersections protégées. Les usagers visés sont les cyclistes et les piétons.

Le guide s’adressera aux urbanistes, aux ingénieurs, aux designers urbains, aux gestionnaires de sentiers, aux élus, aux fonctionnaires et aux groupes cyclistes.

Une révision nécessaire

La réalisation d’un nouveau guide était devenue incontournable. L’une des raisons est la popularité croissante du cyclisme, qui exige de nouveaux aménagements. Ainsi, dans le Plateau-Mont-Royal, la part modale du vélo est en hausse constante. Selon les derniers chiffres, elle était de 10,8 % en 2013. Certaines pistes cyclables, comme l’axe nord-sud, sont saturées. Pour le désengorger, la Ville de Montréal a développé une vélorue sur la rue Saint-André, entre les rues Cherrier et Laurier.

Selon M. Koworowski, un autre phénomène prend beaucoup d’ampleur : le cyclisme d’hiver. La croissance rapide de la page Vélo d’hiver sur Facebook, qui compte 9 000 membres, l’illustre bien. Le guide technique compte notamment proposer des solutions pour s’assurer que les bandes cyclables puissent être déneigées adéquatement et soient praticables pour les cyclistes. L’hiver dernier, plusieurs cyclistes se sont plaints du fait qu’après une bordée de neige, ces bandes devenaient des dépotoirs à neige.

La mobilité, c’est pour tout le monde

En après-midi, il a été question de mobilité universelle à Montréal. Depuis l’adoption en 2006 de la Charte du piéton, la Ville de Montréal tient davantage compte des personnes à mobilité réduite dans ses aménagements. En juin 2011, cette volonté a pris de l’ampleur avec l’adoption de la Politique municipale d’accessibilité universelle. On vise alors à ce que « toute personne, quelles que soient ses capacités, puisse faire un usage identique ou similaire, autonome et simultané des services offerts à tous les citoyens ».

Pierre-Étienne Gendron-Landry, conseiller en sécurité et accessibilité universelle à la Ville de Montréal, est venu nous entretenir de cette réalité. Car avec le vieillissement accéléré de la population, les personnes à mobilité réduite sont en hausse constante. Le tiers de la population québécoise déclare vivre avec au moins une limitation fonctionnelle. Extrapolé à la population montréalaise, cela représente 567 000 personnes.

Pour répondre à cela, la Ville de Montréal a mis sur pied un comité consultatif en accessibilité universelle. « Le comité a notamment travaillé avec les commerçants à concevoir un guide destiné aux cafés-terrasses avec l’objectif de rendre ces endroits accessibles à tous », dit M. Gendron-Landry. Il croit aussi qu’il est possible de réaliser des aménagements bien intégrés au paysage, et même invisibles pour le commun des mortels. Le cas de la place Vauquelin, dans le Vieux-Montréal, où on trouve une rampe pour personne à mobilité réduite bien camouflée par un bel aménagement paysager, en est un bon exemple.

L’escalier de la place Vauquelin, dans le Vieux-Montréal, a été rendu accessible aux personnes à mobilité réduite grâce à l’ajout d’une rampe, bien intégrée à l’aménagement – Photo : Frédérique Ménard-Aubin

Dans le Plan d’action Vision Zéro, lancé récemment par la Ville de Montréal, M. Gendron-Landry soutient que la Ville tiendra compte des usagers les plus vulnérables dans la conception des aménagements et l’offre de transport.

Au chapitre du transport, la STM fait d’ailleurs de grands efforts pour rendre le métro plus accessible. Treize stations sont aujourd’hui équipées d’ascenseurs (lors de l’inauguration du métro, en 1966, il n’y en avait aucune). L’installation d’ascenseurs est aussi en cours dans plusieurs autres stations – dont Berri-UQAM, Angrignon, Jolicoeur et Villa Maria. En 2021, ce sera au tour de la station Place-des-Arts.


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