Le casse-tête de la propreté urbaine à Douala
Douala la Belle, cité capitale économique du Cameroun, première métropole d’Afrique centrale, qui jadis brillait par ses grandes avenues verdoyantes, ses cours d’eau rafraichissants est confrontée à une insalubrité grandissante que les politiques urbaines mises en place n’ont pas réussi à dompter depuis plus de soixante ans2.
Douala, cité capitale économique du Cameroun, première métropole d’Afrique centrale, qui jadis brillait par ses grandes avenues verdoyantes, ses cours d’eau rafraichissants, est confrontée à une insalubrité grandissante. Afin de redonner à la métropole son auréole d’antan, la municipalité a lancé le programme « Douala Clean City! It’s Possible ». Rangée du haut : L’ancienne gare de Douala, 1930 ; Les Portiques, avenue du 27 Août, Douala, 1955 ; Vue de l’avenue du 27 Août, quartier Akwa, Douala en 1955. – Source : Cameroun Rétro, photos du passé.
Rangée du bas : Vue aérienne de la cathédrale Saint-Pierre et Saint-Paul, Douala, 1970. – Source : Creative Commons, CC-BY-NC-SA 2.0 ; Le plateau de Joss dans l’arrondissement de Douala 1er. – Source : Ville de Douala/CUD.
De quoi s’interroger et s’inquiéter au point de se demander si la ville de Douala est-elle rebelle à ces politiques d’aménagement ? Il faut dire qu’en quelques années la ville s’est étendue et s’est densifiée avec une population qui a presque doublé (environ 4 millions d’habitants). Cette forte augmentation de la population urbaine est entretenue par un phénomène migratoire multifonctionnel où des populations en provenance chaque jour des campagnes et des zones de guerres inventent des réseaux et des pratiques illicites qui compromettent toute efficacité d’une réelle politique urbaine. Cette croissance démographique a une incidence sur la production des déchets dans la ville qui dégrade la qualité de l’environnement.
À cela s’ajoute l’incivisme des populations3 qui ne veulent pas respecter la règlementation en vigueur en matière de bon ordre urbain, qui ne maitrise même pas le tri sélectif ou qui refuse d’adopter les bons réflexes et les bonnes pratiques dans la gestion de leurs déchets en attendant par exemple le passage des camions de collecte ou en jetant leurs ordures dans les bacs à poubelle dans un sac plastique. La faible logistique du matériel de collecte du prestataire responsable de la collecte classique (l’entreprise HYSACAM) ne peut couvrir tous les interstices de la ville, encore moins absorbée les 2500 à 3000 tonnes de déchets ménagers produits par jour4. Il était donc urgent pour l’édile de la ville de reprendre cette question en main afin de sortir Douala de cette insalubrité pour le bien-être des populations. « Douala Clean City! It’s possible » est né avec l’espoir de redonner une fière allure à la cité économique du Cameroun.
Reformer la gestion des déchets avec « Douala Clean City! It’s Possible »
« Douala Clean City! It’s Possible » est un vaste programme d’assainissement qui a pour objectif de mobiliser tous les acteurs autour de la gestion efficiente des déchets solides ménagers et assimilés (DSMA) pour augmenter le niveau de propreté et de salubrité de la ville de Douala. Il invite toutes les populations à adopter les bonnes pratiques dans la gestion des ordures en évitant de les jeter n’importe où, n’importe comment, mais en les mettant systématiquement dans des sacs poubelles et les sortir uniquement aux heures et aux jours de précollecte ou de collecte, ou encore en les déposant dans les bacs publics. L’objectif est de faire en sorte que la ville de Douala atteigne un bon état de fonctionnement et que l’ensemble des habitants adhère à ce programme, en tenant compte de la réalité du terrain, sans chercher à atteindre un modèle utopique inaccessible. À cet effet, des sensibilisations sont faites auprès des populations dans les quartiers pour les éduquer, les informer et les sensibiliser sur les méthodes de gestion de leurs déchets.
Mme Wondje Ngothy Georgie Aurore Arlette, directrice adjointe de la police municipale responsable du contrôle de la circulation, de l’occupation de la voirie et des espaces publics avec les jeunes du marché Mboppi dans le cadre du programme Douala Clean City. – Source : Ville de Douala/CUD
La sensibilisation sur les problèmes environnementaux permet à la population cible de prendre conscience des interrelations entre population, environnement et développement socio-économique tant au niveau planétaire que national et local. Elle stimule le sens de la responsabilité individuelle et collective des citoyens face à leur environnement, et contribue à conduire les individus à mieux connaître et gérer efficacement les problèmes environnementaux. Apprendre à la population à assurer la salubrité de leur cadre de vie est une action noble que plusieurs citadins apprécient et exhortent le maire de la Ville à sanctionner les contrevenants qui enfouissent ou jettent les ordures au sol. Le panel des moyens mis en œuvre pour améliorer la propreté urbaine et lutter contre les incivilités est large, depuis la prévention jusqu’à la répression. Ce que l’on sait, c’est qu’il ne suffit pas de verbaliser pour obtenir des résultats. La coercition ne résout pas les problèmes, même si elle doit exister pour traiter certaines situations.
Inciter les populations au respect de la propreté, les responsabiliser…
Le premier niveau d’implication des usagers consiste à obtenir d’eux qu’ils ne salissent pas. Des campagnes régulières les y incitent depuis le lancement du programme « Douala Clean City! It’s Possible ». Des spots sont diffusés dans les médias, des affiches collées dans les écoles, les espaces publics, etc. : « Profiter d’un quartier propre, bien entretenu et où il fait bon vivre, on en a tous envie ». « Nous sommes tous acteurs de la propreté de notre ville ! Un peu de bon sens, de respect et quelques gestes simples au quotidien suffisent ».
Les bons gestes pour une ville propre sont également relayés dans les quartiers par des agents d’hygiène et de salubrité, les agents de la police municipale, les femmes leaders de la propreté, les chefs de quartiers et de villages, les responsables des comités d’hygiène et de salubrité ou de développement de quartiers, etc. Les démarches de responsabilisation des citoyens, en s’appuyant sur des personnes relais volontaires, impliquées dans la mission qui leur est confiée, et bien accompagnées par la Communauté Urbaine de Douala, sont efficaces. Cela fonctionne très bien avec les campagnes ponctuelles de nettoyage des espaces publics (des rues, des carrefours, des espaces verts).
Campagne du programme Douala Clean City !
Tous les moyens sont bons pour inverser les mentalités qui, il faut le dire, ont la peau dure à Douala et favorisent le désordre urbain dans cette ville où l’occupation anarchique des sols et l’insalubrité ambiante sont les maîtres maux. Respectez les jours et horaires des collectes (ordures ménagères et encombrants) et rentrez vos bacs après la collecte ; Jetez vos déchets ménagers dans les bacs à poubelles… et non à côté ! Ne jetez pas vos déchets par les fenêtres de la voiture ou de la maison ; Entretenez les abords de votre habitation en désherbant régulièrement et ne pas laisser déborder la végétation de votre propriété sont autant de conseils adressés aux populations pour garder la ville de Douala salubre. Par le biais des réseaux sociaux, des mobilisations ont également vu le jour à Douala où des jeunes se donnent rendez-vous sur un site identifié dans la ville pour le nettoyer, car une ville propre est attrayante et agréable tant pour les citoyens que pour les visiteurs. C’est pourquoi le maire en a fait son cheval de bataille et n’attend pas les élections pour s’assurer du succès de cette action. Pour lui, le « spectacle du propre » c’est l’affaire de tous et n’a pas besoin de campagne électorale pour améliorer la qualité de vie des habitants.
…et obtenir sa participation, car la propreté c’est une affaire de tous
« Une ville propre, c’est l’affaire de tous », la recherche de la participation des usagers va croissante et se retrouve dans le slogan « Douala Clean City! It’s Possible ». La Communauté Urbaine de Douala a besoin de l’aide des usagers, notamment pour les collectes sélectives. Elle qui a fait une de ses priorités l’amélioration de la qualité de l’espace public, déploie de gros moyens pour assurer la propreté des espaces que partagent les citadins. Cependant, ces moyens restent insuffisants du fait de la progression des incivilités urbaines5. C’est pourquoi, la propreté étant une responsabilité de tous, les populations sont invitées à adopter de manière citoyenne une attitude civique pour maintenir les rues, les quartiers et les lieux publics propres de manière permanente. Chaque déchet a un coût financier pour l’environnement et chacun doit pouvoir adopter les bons gestes en nettoyant devant chez soi, en jetant ses ordures dans une poubelle plutôt que dans la rue ou encore, en triant bien ses déchets.
Curage des caniveaux par des jeunes engagés dans le programme Douala Clean City ! It's Possible. – Source : Ville de Douala/CUD
Demander la participation des usagers vise aussi à optimiser les dépenses. Dans un contexte de décentralisation qui voit les compétences des collectivités territoriales décentralisées augmenter, celles-ci connaissent des difficultés financières qui les conduisent à une gestion davantage « managériale » des services urbains. Elle passe par exemple par une production de services urbains plus flexibles, donc mieux adaptés aux demandes. Orientation que l’on voit à l’œuvre à la Communauté Urbaine de Douala avec la création de plusieurs régies autonomes (la régie des routes et des constructions, la régie foncière et domaniale et la régie de la propreté urbaine) pour minimiser les coûts des travaux d’aménagement et de restauration de la ville. C’est aussi pourquoi on demande aux usagers de mettre « la main à la pâte » et d’être plus conscients des dépenses. Il est faux de laisser croire que le Service de la propreté peut tout nettoyer. C’est aux populations aussi à prendre en main la propreté de leur ville et c’est désormais du civisme de chacun que dépendront les progrès les plus significatifs.
Restaurer l’ordre urbain en sortant de la tolérance administrative
Le programme « Douala Clean City! It’s Possible » au-delà d’être une opération de propreté urbaine vise à mettre fin à la tragique impuissance de la puissance publique qui a longtemps caractérisé la ville de Douala6. Il s’agit de rétablir l’ordre et la salubrité urbaine par tous les moyens avec rigueur et fermeté, loin du « tapage politico-médiatique »7. Ce programme vise à éradiquer la tolérance administrative qui favorise la prolifération du désordre urbain à Douala. C’est la raison pour laquelle toutes les autorités (politiques, administratives, traditionnelles, religieuses, etc.), chacun à son niveau de compétence, sont impliquées dans ce programme à travers une mutualisation des moyens et des solutions consensuelles aux problèmes qui minent la ville. C’est une nécessité pour discipliner les populations afin que les espaces publics retrouvent leur fonction circulatoire des biens et des personnes, et l’esthétique paysagère qui fait la beauté des grandes métropoles.
Le maire de la Ville avec les Women Clean City au marché PK 14 dans l'arrondissement de Douala 3e. – Source : Ville de Douala
Pour mieux lutter contre le désordre urbain qui dénature le décor urbain et détériore la qualité de vie des populations, il est temps pour les municipalités de s’approprier la planification urbaine de leurs territoires et pour les magistrats municipaux d’améliorer leur gestion de la cité à travers de nouveaux outils, de nouvelles manières de faire qui puissent rendre la capitale économique du Cameroun attractive et moderne. « Transformer Douala en une métropole économique régionale moderne tournée vers l’avenir », c’est donc le projet auquel s’est fixé le maire de la Ville de Douala, qui n’a rien perdu de sa détermination à bâtir une ville toujours plus audacieuse, dynamique et humaine. Et comme il le dit lui-même : « ma passion et ma détermination pour y parvenir sont intactes pour réaliser une ville intelligente, durable, respirable, solidaire et résiliente ». Oui, « Douala Clean City! It’s Possible ».
Notes
1Cette expression résulte du titre de l’artiste Nyangono du Sud, « Ça a déjà commencé ».
2 Pierre Jacquemot, Jean Yango, « Soixante ans de politique urbaine à Douala. La revanche de l’informel face à la rationalité planificatrice », Afrique contemporaine, Vol. 1, n° 271-272, 2020, p. 281-301.
3 Les incivilités ne se traduisent pas toujours de la même façon, mais elles existent, et accaparent systématiquement les débats, mettant en cause les exécutifs locaux.
4 L’entreprise HYSACAM n’a qu’une capacité de collecte de 1200 tonnes à 1400 tonnes par jour. Lire à ce sujet Jean-George Ngob Bonog, « Douala dans les ordures : ce qui fait problème », in « Assainissement de la ville. Comment transformer le visage de notre cité ? », Mundi Mwasu n° 13, 2023, pp. 35-36.
5 Rodrigue Nana Ngassam, « Haro sur la privatisation des espaces publics par des activités commerciales dans la ville de Douala », Revue Espace Géographique et Société Marocaine, 2024 (à paraître).
6 Georgie Aurore Arlette Wondje Ngothy et Nana Ngassam Rodrigue, « Les pouvoirs de police du Maire de la Ville au Cameroun », Revue Internationale de Droit et Science Politique, Vol. 4, n° 3, mars 2024, pp. 326-349 (www.revueridsp.com).
7 Il est plutôt question de rétablir l’ordre et la salubrité urbaine par tous les moyens et de faire respecter les règles environnementales et d’urbanisme règlementant l’occupation de l’espace urbain.