C’est du moins ce que disent les chiffres recueillis par la Commission de la construction du Québec (CCQ), à la veille d’entamer la deuxième phase de son Programme d’accès à l’égalité des femmes dans l’industrie de la construction. L’occasion de faire le point sur ce qui a été accompli… et sur le chemin qu’il faut encore parcourir.
Acteur majeur vis-à-vis du sujet, la CCQ met en place un premier plan d’action favorisant l’insertion des femmes au milieu de la construction dès 1997. Les objectifs visent alors à intégrer 2 000 femmes en l’an 2000, et à augmenter ce nombre de 2 % durant les dix années suivantes. Objectifs non atteints, ou en tout cas retardés, puisque les 2 067 travailleuses ne seront comptabilisées qu’en 2011, sur près de 160 000 travailleurs au total. Un Programme d’accès à l’égalité des femmes dans l’industrie de la construction (PAÉF) est donc réintroduit en 2015 sous l’intitulé « Agir pour une mixité réelle en chantier : une responsabilité partagée ». Découpé en 3 phases, il comprend 40 mesures réparties entre 3 orientations : « soutenir le parcours des femmes », « créer un milieu favorable, inclusif et respectueux » et « assurer une responsabilité partagée ». Responsable de la mise en œuvre d’une grande partie de ces engagements, la CCQ mène différentes actions, dont des campagnes de sensibilisation ou des réglementations adaptées (augmentation des places réservées aux femmes dans les formations DEP ou du seuil permettant d’embaucher une femme non diplômée, fixé à 30 %, plutôt que 5 % pour les hommes).
Sur le point d’entamer sa deuxième phase, le programme fait actuellement l’objet d’une analyse qui permettra de réorienter les actions à mener durant les trois prochaines années. Diane Lemieux, présidente-directrice générale de la CCQ, observe déjà quelques nettes améliorations, mais aussi certains faits troublants. Parmi les améliorations, notons l’augmentation significative de 35 % d’entrée des femmes dans le secteur, ainsi que la croissance du nombre d’entreprises les embauchant, de 7,5 % en 2015 à 10,4 % en 2018. Toutefois, le taux d’abandon demeure un enjeu particulièrement préoccupant, car il s’élève à 22,2 % pour les femmes contre 14,4 % pour les hommes après un an dans l’industrie, et à 55 % pour les femmes contre 35 % pour les hommes après cinq ans. Ce phénomène concentrera les efforts de la deuxième mouture du PAÉF.

Diane Lemieux, présidente-directrice générale, CCQ. Photo : Gilbert Duclos
« Les femmes quittent de manière plus significative. Et c’est très inquiétant, car tout le monde fait beaucoup d’efforts pour que plus de femmes s’inscrivent au DEP et complètent leur formation, trouvent un premier emploi… C’est l’élément principal sur lequel on travaillera pour notre deuxième phase. »
Nombre de ministères et organismes publics, associations patronales et syndicales, acteurs clés de l’industrie et centres de formation professionnelle ont souscrit au PAÉF 2015-2024, et se sont engagés à mettre en œuvre leur propre plan d’action. Le plus important regroupement d’entrepreneurs, l’Association de la construction du Québec (ACQ) est l’un d’entre eux. Celle-ci se sensibilise au sujet dans les années 2011-2012, lorsque plusieurs de ses membres permanents ressentent le besoin de fonder un « comité d’accès et du maintien des femmes dans l’industrie de la construction » afin de faciliter les procédures d’embauche de la gent féminine, et surtout de pallier les difficultés posées par la mixité en chantier. Car la mixité ne va pas de soi dans cet autre monde que serait la construction, entre sexisme, préjugés et conditions inadaptées (pensons à une question aussi triviale que l’absence de toilettes sur les sites dédiés). Pour y remédier, l’ACQ soutient différentes initiatives, telles que la délivrance d’un « certificat de mixité » aux bons élèves, ou encore une subvention allant jusqu’à 10 000 $ financée par le Fonds de formation des salariés de l’industrie de la construction. Manon Bertrand, présidente sortante de l’ACQ, insiste : « Il ne s’agit pas d’imposer des quotas qui pourraient entraîner un effet d’embauche sur le sexe plutôt que sur les compétences, mais de proposer des incitatifs qui aident à faire changer les comportements. »

Manon Bertrand, présidente sortante de l’ACQ et présidente de Construction S.R.B.
« La pénurie de main-d’œuvre touche tous les domaines. C’est difficile pour les entrepreneurs, mais c’est aussi une belle occasion d’y faire entrer des femmes qui prendront goût aux métiers de la construction et auront envie d’y rester. »
En attendant ce changement, l’ACQ organise chaque année un colloque intitulé « Construire se conjugue au féminin », durant lequel une série de témoignages et de portraits démystifient la présence des femmes sur chantier. Pour sa quatrième édition, le colloque s’associe à un autre événement portant sur la pénurie de main-d’œuvre au cours de deux journées organisées à Montréal et Québec. Le rapprochement des deux sujets n’est pas innocent : il s’agit de montrer que l’un pourrait être la solution de l’autre, au moins partiellement. C’est l’un des leitmotivs de Manon Bertrand, convaincue que l’entrée des femmes au sein des métiers de la construction contribuera à apaiser la crise que connaît actuellement ce secteur, où l’on prévoit de dépasser le sommet historique atteint en 2012 avec des millions d’heures de travail déclarées. L’ancienne présidente de l’ACQ y voit en outre l’occasion de revaloriser un secteur longtemps déprécié malgré « de bons salaires et de bons avantages sociaux », ce qui « profitera à tout le monde, femmes et hommes ».
En parallèle, Les Elles de la construction, un OBNL visant à réunir des femmes œuvrant dans les milieux de la construction, offre des services personnalisés tels que du mentorat pour femmes immigrantes ou de l’accompagnement en RH aux entreprises. En croissance depuis sa création en 2013, l’organisme Les Elles de la construction travaille à briser l’isolement via différentes plateformes d’échange : activités de rayonnement et de réseautage ou gala bisannuel mettant en lumière des femmes aux parcours inspirants. Selon Valérye Daviault, présidente des Elles depuis 2017, même si la situation s’est grandement améliorée au cours des dernières années, il reste toutefois des limites qui pourraient bien expliquer les écarts notés entre les provinces : il est par exemple impossible pour l’organisme de jouer un rôle de placement comme le lui demande régulièrement des entreprises, la réglementation québécoise l’interdisant – une réglementation différente de celle en vigueur ailleurs au Canada. La jeune présidente, également à la tête de sa propre entreprise (Konexco inc.), ajoute que plusieurs réalités de terrain freinent l’évolution du nombre de femmes sur les chantiers au Québec, dont l’inévitable rotation des équipes en chantier, laquelle n’offre pas le temps nécessaire aux équipes d’établir la relation de confiance qui permettrait de faire évoluer les mentalités. Une évolution qui pourrait être bénéfique tant aux femmes qu’aux hommes, ces derniers étant également confrontés à des climats de chantier parfois difficiles.

Valérye Daviault, présidente, Les Elles de la construction
« On parle beaucoup des femmes, mais les hommes sur les chantiers de construction ne sont pas doux entre eux non plus. Ça peut aller au harcèlement chez les femmes, mais de la discrimination, il y en a aussi beaucoup entre les hommes. »