Être chez soi dans un logement adaptable Photo : Peter Berra – Architecte : Barin architecture + design

Pour qu’une personne en perte d’autonomie puisse continuer de se sentir chez elle, son hébergement, à domicile ou en résidence, doit être adaptable en fonction de l’évolution de besoins. C’est le défi que doivent relever les architectes et les designers et que doivent encourager des subventions ou la réglementation.

Des cas de maltraitance dans des CHSLD, une résidence privée pour aînés (RPA) qui part en fumée en emportant une partie de ses résidents, la COVID-19 qui fauche des vies dans les RPA et les CHLSD. Il a fallu ce crescendo d’événements pour réaliser que les conditions de vie des personnes âgées n’étaient pas exemplaires et que les aîné(e)s méritaient mieux, à commencer par leur hébergement. Or, d’une part, les personnes âgées veulent se sentir chez elles et, d’autre part, vieillir est un processus évolutif. En conséquence, pour qu’une personne en perte d’autonomie puisse continuer de se sentir chez elle, son hébergement, à domicile ou en résidence, doit être adaptable en fonction de l’évolution de besoins. C’est le défi que doivent relever les architectes et les designers et que doivent encourager des subventions ou la réglementation.

Aider les aîné(e)s à rester à domicile

Le premier chez-soi, c’est le domicile. Car pendant que nos yeux sont rivés sur les tragédies qui se déroulent dans les RPA et les CHSLD, il ne faut pas oublier que la grande majorité des personnes âgées vivent à domicile. Les statistiques énoncées par Philippe Poirier-Monette, conseiller en droits collectifs à la Fédération de l’âge d’or du Québec (FADOQ), sont limpides : 89,5 % des personnes de plus de 65 ans vivent chez elles, dans une maison, un condo ou un appartement ; même après 85 ans, elles sont encore 59 % à rester chez elles. « Les aîné(e)s veulent demeurer chez eux, dans leur communauté, le plus longtemps possible et être considéré(e)s comme des parties prenantes de la société », soulignait Philippe Poirier-Monette. « Peu importe le niveau d’autonomie, se sentir chez soi est un aspect important pour vieillir et vivre dans sa communauté, relevait également Siamak Barin, architecte chez Barin architecture + design. Il faut minimiser la rupture des liens qu’une personne tisse avec son environnement et sa communauté comme ses amis, sa famille, les commerces, les services sociaux, la bibliothèque… »

La Maison l’étincelle, à Montréal, héberge des personnes atteintes de la maladie d’Alzheimer. L’aménagement intérieur est conçu pour rappeler le milieu urbain extérieur, créant ainsi des repères qui parlent aux résidents et les stimulent. Photo : Peter Berra – Architecte : Barin architecture + design

C’est pour rester chez elles que les personnes âgées qui perdent de la mobilité font installer des barres d’appui dans la salle de bain ou un monte-escalier quand les marches deviennent des obstacles. D’autres, qui perdent de l’audition, ont recours à un avertisseur lumineux à la place de la sonnerie du téléphone qu’elles n’entendent plus. Au lieu d’adapter le logement en réaction, Philippe Poirier-Monette préconise d’agir de façon préventive et de construire des logements évolutifs inspirés du guide de la construction Bâti-Flex MC de la Société canadienne d’hypothèques et de logement (SCHL). Il s’agit, par exemple, d’installer les prises de courant et les interrupteurs à portée de main d’une personne en fauteuil, de prévoir un dégagement suffisant pour circuler en fauteuil et un dégagement pour les genoux sous le lavabo. La hauteur du lavabo peut d’ailleurs être modulable pour être facile d’utilisation autant pour une personne assise que debout.

Construire évolutif est aussi l’approche du programme Victoriaville – Habitation Durable, présenté par André Bourassa, architecte chez Bourassa Gaudreau & Associés architectes. Ce programme accorde une subvention lors de la construction ou de la rénovation d’une maison si celle-ci intègre certaines mesures de développement durable et d’accessibilité comme des seuils de porte inférieurs à 13 mm ou une marge de manœuvre de 1,5 m dans la cuisine. Avec l’évolution de ce programme, certaines des mesures initiales sont maintenant passées dans le règlement municipal. « Pour construire une habitation à Victoriaville, il faut des portes de 34 pouces. C’est dans le règlement », illustre André Bourassa. Il faut aussi un fond de clouage derrière le gypse pour faciliter l’installation de barres d’appui dans la salle de bain, le moment venu, sans avoir à démolir le mur.

Pour maintenir le sentiment de rester chez soi et faciliter le rapprochement familial, la réglementation de Victoriaville autorise la construction d’une seconde habitation, distincte de l’habitation principale, sur le même terrain. Source : Ville de Victoriaville

Une autre approche pour maintenir le sentiment de rester chez soi est de faciliter le rapprochement familial. La réglementation de Victoriaville le permet en autorisant la construction de maisons bigénérationnelles et même d’une seconde habitation, distincte de l’habitation principale, sur le même terrain. « C’est une densification douce qui permet à des parents âgés de vivre dans une petite habitation prévue pour eux, à proximité des services municipaux », dépeint André Bourassa. Ce faisant, ces parents âgés bénéficieront de l’aide des enfants, ce qui facilitera leur maintien à domicile.

Car même dans une maison adaptée à sa condition physique, une personne peut avoir besoin d’aide et de soins à domicile pour demeurer chez elle. Philippe Poirier-Monette faisait observer que le Québec consacre 1,3 % de son PIB aux soins de longue durée à domicile alors que la moyenne de l’OCDE est à 1,7 %.

Peut-on alors penser que des logements adaptables combinés à une offre de soins et d’aide à domicile renforcée aideraient les personnes âgées à rester plus longtemps chez elles ? C’est ce qui allégerait la pression sur les RPA et les CHSLD, comme le faisait remarquer André Bourassa.

Chez soi en résidence

« Même si beaucoup d’aîné(e)s veulent rester chez eux, il y a une forte demande pour l’hébergement en RPA. Dans l’agglomération de Montréal, 18 % des personnes de plus de 75 ans logeaient en RPA », nuançait Rana Boubaker, candidate au doctorat en aménagement à l’Université de Montréal. Certaines personnes, encore valides, vont y chercher confort et sécurité, d’autres veulent s’éviter les tâches ménagères quotidiennes et d’autres veulent bénéficier de soins de santé de base avant de prendre le chemin du CHSLD. 

Comme le domicile, la résidence doit offrir un hébergement adaptable en fonction des besoins des résidents. « Il faut concevoir un environnement évolutif pour éviter les délocalisations des résidents », énonçait Siamak Barin. D’ailleurs, « les maisons des aîné(e)s seront construites de manière évolutive pour éviter les déménagements d’une ressource à l’autre », abondait Philippe Poirier-Monette.

Comme le domicile, la résidence doit offrir un hébergement adaptable en fonction des besoins des résidents. Photo : Peter Berra – Architecte : Barin architecture + design

Et même en résidence, les aînés veulent se sentir chez eux. « Le milieu de vie doit respecter l’identité, la dignité et l’intimité des personnes. Il doit être le plus normalisant possible, faciliter l’appropriation par le résident », poursuivait Siamak Barin. Un résident doit alors pouvoir s’approprier les lieux à trois échelles – celles du bâtiment, des abords immédiats et du quartier », précisait Rana Boubaker. Le défi est de concevoir un environnement à la fois fonctionnel avec des services de soins, de buanderie, d’alimentation… et à la fois convivial, appropriable par les résidents et à échelle humaine.

S’appuyant sur des réalisations de sa firme, Siamak Barin a proposé des pistes de solution pour concilier ces exigences et éviter ce que plusieurs conférenciers ont appelé la formule du RPA « paquebot ».

Pour rester à échelle humaine, le bâtiment devrait être limité à deux ou trois étages et divisé en maisonnées d’une dizaine de chambres avec des espaces de vie et un accès à l’extérieur. Les longs couloirs et les impasses devraient être évités au profit de formes en L ou en C où toutes les chambres seraient à proximité des aires communes.

La Maison des vétérans à Tilton, New Hampshire, comporte un jardin adapté aux personnes âgées avec, notamment, une main courante le long des sentiers. Source : Morris/Switzer & Associates

C’est le cas de l’agrandissement de la Maison des vétérans, à Tilton, New Hampshire, réalisé par la firme Morris/Switzer & Associates et pour lequel Siamak Barin était chargé de projet. Le bâtiment est en forme de T traversé par un salon où chaque branche correspond à une maisonnée de 14 résidents. De leur maisonnée, les résidents peuvent sortir dans un jardin et profiter de bancs, de pergolas, de sentiers équipés de mains courantes et même d’un potager. Un CHSLD à Laval, bien que sur quatre étages, se compose aussi d’îlots abritant onze résidents.

Siamak Barin propose aussi de mettre les fonctions d’opération du bâtiment en arrière-scène pour qu’elles interfèrent le moins possible avec la vie des résidents. Par exemple, à la Maison l’étincelle, à Verdun, les espaces circulation des résidents et du personnel ne se croisent pas et, au CHSLD de Laval, les véhicules de livraison arrivent en sous-sol, en retrait des résidents. Enfin, pour renforcer le sentiment d’appartenance et créer un environnement familier, Siamak Barin suggère de s’inspirer du cadre bâti local. C’est ainsi que le design intérieur de la Maison l’étincelle reprend le décor des rues commerçantes alentour.

Une façon d’aider les résidents à s’approprier la résidence et d’en faire leur chez-soi est de séparer les aires de circulation des résidents et du personnel. Ici, dans un CHSLD de Laval, le personnel accède à l’arrière-scène du bâtiment par une passerelle, qui sert aussi d’écran visuel entre les chambres et les quais de déchargement. Source : Barin architecture + design

Or justement, Rana Boubaker a mené une enquête auprès des résidents de quatre RPA pour connaître leurs besoins et leurs attentes en matière d’aménagements. Il en ressort qu’environ 75 % veulent des barres d’appui dans la salle de bain, de la lumière naturelle dans leur logement et des portes faciles à manier. Dans les espaces communs, entre 80 et 90 % accordent de l’importance à l’isolation acoustique, la climatisation et la facilité d’utilisation des ascenseurs. Quant aux abords immédiats et au quartier, que les personnes âgées doivent aussi s’approprier pour se sentir chez elles, environ 75 % veulent des passages piétons aux intersections, des trottoirs entretenus et déneigés et des commerces et services de santé à distance de marche.

Une solution abordable ?

Ces ingrédients énoncés par Siamak Barin et Rana Boubaker font partie de la solution pour améliorer le cadre de vie des personnes âgées qui ne peuvent ou ne veulent plus rester dans leur maison. Mais se pose le problème de l’accessibilité, car le coût d’hébergement en RPA gruge considérablement le budget des personnes âgées…


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