Le bois dans toutes ses formes Pavillon de la France, Exposition universelle de Milan de 2015 : l’enchevêtrement d’arches de bois lamellé-collé est une représentation inversée du territoire de la France. Photo : © XTU-Andrea Bosi

Condos Origine à Québec, école primaire à Saint-Jérôme, des stades, des bibliothèques…, les bâtiments en bois se multiplient, démontrant le potentiel de ce matériau. Aujourd’hui, un édifice en bois de 10 étages ne surprend plus et, même si la course vers la plus haute tour en bois se poursuit, les prochaines surprises pourraient bien venir de la forme des bâtiments et non plus de leur hauteur. Lors de l’École professionnelle organisée en juin 2016 par la Chaire industrielle de recherche sur la construction écoresponsable en bois (CIRCERB), à l’Université Laval, l’agence XTU architects, créé par Anouk Legendre et Nicolas Desmazières, a montré des structures de bois aux courbes improbables et pourtant bien réelles. Des étudiants de la CIRCERB mènent aussi des projets de recherche pour donner au bois des formes complexes.

La Cité du vin

Lové dans une courbe de la Garonne à Bordeaux se dresse un bâtiment tout en rondeurs et torsions. C’est La Cité du vin, un lieu de découverte du vin avec expositions et dégustations, conçue par l’agence XTU et inaugurée en juin 2016. Elle se présente comme un large tore surmonté d’une tour ronde culminant à 55 m. La forme audacieuse évoque à la fois la Garonne, les volutes de brume qui s’en élèvent, les torsions du cep de vigne et la spirale de vin dans le verre. L’appel d’offres ne comportait pas de prescription pour les matériaux, alors les concepteurs ont opté pour la mixité : le béton pour le plancher et le noyau de la tour, une voûte en bois et une couverture de panneaux d’aluminium et de verre. De teintes variées, ces panneaux créent un paysage de vigne, et la forme déjà déroutante de l’édifice devient floue et ambiguë quand la lumière joue sur ce paysage. « La vêture est changeante, commente Joan Tarragon, chef de projet à l’agence XTU ; elle est à la fois perceptible et imperceptible, et il est difficile de lui donner une forme. »



À Bordeaux, La Cité du vin, conçue par l’agence XTU, élève ses courbes sur les berges de la Garonne. Les reflets sur la vêture de verre et d’aluminium de La Cité du vin transforment la silhouette de l’édifice au gré du soleil et des nuages. Photo : © XTU-D. Isart


De l’extérieur, la présence du bois ne se devine que sur la tour enlacée de 128 épines de bois de sapin de Douglas lamellé-collé qui impriment un effet de torsion. Il faut entrer à l’intérieur pour découvrir l’imposante voûte de bois : un assemblage de 574 arches de bois d’épicéa lamellé-collé, toutes différentes en raison de la forme complexe du bâtiment. En plus d’évoquer le cep et les barriques, le bois répond aussi aux besoins structurels du bâtiment. « C’était la réponse technique la plus évidente pour avoir un volume d’espaces immersifs important tout en minimisant la surface de l’enveloppe », explique M. Tarragon. En effet, la vêture de verre et d’aluminium est une deuxième peau qui agit comme ombrière et participe à la ventilation passive du bâtiment. Sa morphologie n’est pas dictée uniquement par les critères esthétiques, mais résulte aussi de simulations 3D et d’essais en soufflerie. Elle se juxtapose sur la voûte formée par les arches, un platelage de contreplaqué et une isolation thermique et phonique. La prouesse était d’ajuster la structure de bois à la vêture pour minimiser la surface de panneaux, les quantités de matériaux – et donc les coûts. Des heures de travail pour ajuster la courbure des arches à la forme de la vêture.



À l’intérieur de La Cité du vin, la voûte est composée de 574 arches de bois d’épicéa lamellé-collé, toutes de dimensions différentes. Photo : © XTU-P. Tourneboeuf
 

L’agence n’en était pas à son premier projet audacieux. Déjà, elle avait participé à un concours international pour le Musée de la préhistoire de Jeongok, en Corée du Sud. « On n’avait jamais fait de musée. Il y avait 1 500 candidats, donc on savait qu’on n’avait pas de chance de gagner. On avait proposé une forme courbe, en inox, avec une géométrie incroyable, qui marche bien sur le dessin, mais qui n’est pas évidente à construire », raconte Anouk Legendre, en entrevue téléphonique après l’École professionnelle. Or, l’agence a remporté le concours et il a bien fallu passer du dessin à la réalité. « Pour La Cité du vin, la forme courbe ne nous faisait plus peur, il n’y avait plus que le matériau bois à apprivoiser. Et il s’avère que c’est un super matériau pour faire des courbes », relate Anouk Legendre.

 

Le bâtiment paysage de Milan

En pleine construction de La Cité du vin, XTU remportait le concours pour le pavillon de la France à l’Exposition universelle de Milan en 2015. L’agence avant un an pour concevoir et construire un pavillon d’une surface au sol de 3 500 m2 avec plateau d’exposition au rez-de-chaussée et restaurant à l’étage. L’agence voulait aussi un bâtiment démontable qui puisse être reconstruit ultérieurement. « Pour tenir les délais, il n’y avait pas d’autres solutions que le bois », annonce Joan Tarragon.



Vue extérieure du pavillon de la France. Photo : © XTU-Andrea Bosio
 

En accord avec le thème de l’exposition « Nourrir la planète, énergie pour la vie », les concepteurs ont imaginé un bâtiment à l’image du terroir français avec ses reliefs et ses productions agricoles. Et pour une visite immersive, c’est le plafond du hall d’exposition, tout en arches de bois lamellé-collé, qui représente l’image inversée de ce terroir. « C’est un paysage inversé dans lequel les visiteurs allaient se promener, avec un plancher libre et des cultures qui tombent du plafond », décrit Joan Tarragon. L’ossature primaire est formée par un treillis de poutres et colonnes droites donnant la forme rectangulaire générale du pavillon. Ce treillis est connecté aux arches principales de la voûte paysagère. Ces arches sont à leur tour confortées par des arches secondaires formant une trame orthogonale et offrant des caissons où insérer les produits du terroir. Certaines de ces poutres ont un rayon de courbure aussi petit qu’un mètre tandis que d’autres présentent une double courbure. C’est grâce à Simonin, le fournisseur de bois lamellé-collé et son robot à commande numérique couplé au logiciel d’architecture et capable de découper les poutres dans toutes les dimensions, que XTU a poussé plus loin l’exploration du potentiel du matériau bois. Pour ajouter à la magie des lieux, ces poutres aux courbes extrêmes s’enchevêtrent sans système de fixation apparent. « Simonin a mis au point le système Résix®, des fixations invisibles. Au lieu d’avoir des ferrures extérieures, ça se passe à l’intérieur du bois. De l’extérieur, on ne comprend pas comment ça s’emboîte », décrit Anouk Legendre. Le pavillon est ceinturé de 172 poutres de bois de mélèze lamellé-collé.

Pendant ce temps à Québec

Des étudiants de l’École d’architecture de l’Université Laval s’attellent aussi à la conception de structures complexes en bois. C’est une question d’esthétique et d’ambiance, mais aussi d’efficacité énergétique, car l’adoption des principes bioclimatiques peut mener à des formes non conventionnelles. D’ailleurs, le profil de La Cité du vin imaginé par les concepteurs a été optimisé par des essais en soufflerie et il a fallu ajuster la structure de bois sous-jacente. C’est là un défi, car les techniques constructives traditionnelles mettent en œuvre des formes orthogonales. « La matérialisation de formes complexes avec des éléments orthogonaux donne parfois lieu à une inefficacité structurale et une surutilisation de matériaux », illustre Philippe Charest, étudiant à l’École d’architecture et qui s’intéresse aux résilles de bois. Pour concevoir ces formes complexes, la modélisation paramétrique devient inévitable. Et alors que la modélisation des données du bâtiment (MDB ou BIM en anglais) fait son chemin dans le milieu du bâtiment, il préconise le logiciel de conception Rhinoceros greffé du plugiciel de modélisation paramétrique Grasshopper. « BIM est indispensable pour intégrer le travail des différents professionnels sur un même bâtiment, mais les logiciels favorisent souvent l’utilisation d’éléments standards, justifie Philippe Charest. Il devient donc difficile d’explorer des géométries nouvelles et des façons de construire innovantes. »

Pour décrire sa recherche sur les résilles, il prend l’image d’un filet suspendu qui prend de lui-même la forme naturelle en fonction des forces en présence. « Le travail en tension d’un filet suspendu équivaut au travail en compression de sa forme retournée. Cette technique intuitive est donc intéressante pour la prise de forme d’une résille en bois », explique-t-il. En intégrant une certaine permissivité dans le processus de conception, les membrures vont se déplacer les unes par rapport aux autres pour donner à la résille une configuration optimale. La modélisation paramétrique permet alors d’appliquer des paramètres qui vont conditionner la forme optimale. En jouant sur la complexité de la forme (courbure simple ou multiple), sur la disposition des membrures (orthogonalité ou intersection) et les propriétés du bois (essences), Philippe Charest a imaginé une matrice de 64 prototypes. À l’issue de leur modélisation, les plus efficaces seront construits pour valider la construction, la résistance de la structure et l’ambiance qu’elle génère.

Les premières bases sont posées pour sortir le bois de l’orthogonalité.


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