L’équation REM et aménagement du territoire CDPQ Infra

Le REM 2.0 peut s’avérer un puissant élément structurant des quartiers de l’Est montréalais trop longtemps laissés pour compte. Mais encore faut-il bien y réfléchir. L’urbaniste Serge Filion nous entretient de ce projet titanesque sous l’angle de l’aménagement du territoire. Menace ou opportunité ?

REM de l'EST et urbanisme – Menace ou opportunité ?

Par Serge Filion, géographe et urbaniste émérite

L’arrivée du projet d’extension du REM 2.0 a causé une onde de choc et une véritable commotion auprès des élites politiques, intellectuelles, professionnelles et financières de Montréal. Et pour cause si l’on conçoit aisément l’envergure des impacts positifs ou négatifs potentiels de ce projet sur l’urbanisme de la moitié est de l’île de Montréal. Une décision attendue depuis longtemps dans un vaste quartier oublié depuis les Olympiques de 1976. Menace ou opportunité ? À nous tous d’en décider.

Il existe dans ce secteur de la ville beaucoup de quartiers bien conçus et bien entretenus de fort belle facture, mais aussi hélas des secteurs moribonds en mal de vocation ou de réhabilitation complète en vertu de la dégradation de certains ensembles résidentiels bâtis, de complexes industriels vacants et de terrains vagues contaminés, de forêts oubliées et de terres agricoles en friche. Nos amis français parlent en de telles circonstances d’autant d’occasions de création pour les fabricants des villes à venir.

CCMM

Comme la pratique de l’urbanisme à une telle échelle se décline en conjugaison parfaite avec les principaux modes de mobilité urbaine envisagés, il nous faudra imaginer simultanément les conséquences concrètes des décisions à prendre sur la requalification et la densification du cadre bâti, la mixité des usages désirés et enfin sur la qualité de vie globale des populations concernées à court, moyen et long terme. Et cela pour chacun des tronçons du réseau. On devrait s'assurer que l’option finale retenue après consultations publiques soit immédiatement inscrite au prochain schéma d’aménagement et au plan d’urbanisme révisé de ce territoire pour en garantir la mise en œuvre sur le court et long terme. Un enjeu de taille !

Les usages

Comment aborder une tâche titanesque de cette envergure si l’on ne possède pas déjà une idée de la répartition des usages et des paysages urbains recherchés à terme ? Aux Montréalais d’en définir les contours au cours des prochains mois.

Aurons-nous droit au final à quelque chose de global, d’équilibré, d’harmonieux comme ont été façonnés en une génération (de 1850 à 1867) le Paris d’Haussmann, le Barcelone d’Ildelfonso Cerda (le quartier de l’Extension), le Washington de Pierre l’Enfant ou plus humblement le centre de Boston de l’après Big Dig au tournant du présent siècle ? Si l’on veut vraiment que les impacts positifs soient de taille en tenant compte de notre culture démocratique actuelle, il faudra assurément que l’intelligence du donneur d’ouvrage, le génie créateur des professionnels missionnés et l’acceptabilité sociale des populations concernées soient simultanément au rendez-vous tout au long du processus de mise en œuvre.

Trois questions

Tout cela s’inscrira forcément dans un temps plutôt long. Devant ce fait inéluctable, trois questions se posent dès maintenant.

1- Comment formuler clairement une vision d’ensemble à long terme en rapaillant les documents actuels de planification et les avis actuels des experts et des populations concernées ? Nous avons confiance au processus de l’Office de consultation publique de la Ville pour en arriver à un consensus sur la meilleure option du projet d’urbanisme et aussi bien sûr sur les processus de mise en œuvre sur toute la durée des travaux. La seule façon de mobiliser l’intelligence collective pour définir cet ambitieux projet de ville. Mais encore, il ne faudrait pas en discuter éternellement.

2- Comment conserver l’adhésion des citoyens malgré les irritants inévitables attribuables à l’envergure et à la durée des travaux ? Le donneur d’ouvrage devra être intelligent, communicateur, empathique, persévérant, transparent, opiniâtre et rassembleur. Il saura retenir l’engouement et le moral des membres de l’équipage et l’adhésion des financiers, des médias, des penseurs de la ville et de la société civile… mais aussi et surtout des bénéficiaires du projet, les résidents et les gens d’affaires de cette partie de la ville. 

3- Comment livrer des projets de démonstration à court terme qui feront la preuve des bénéfices immédiats de l’ensemble de la démarche ? La construction de la phase 2 du REM devra comprendre une série d’interventions parallèles comme l’aménagement de trottoirs, de bandes cyclables, de projets de constructions neuves harmonieuses occupant les dents creuses (terrains vagues), la restauration et le recyclage des bâtiments résidentiels et commerciaux existants pour les remettre à niveau, les plantations d’alignement… somme toute l’embellissement généralisé des paysages urbains traversés. L’augmentation simultanée des valeurs foncières devra contribuer à la rentabilité fiscale du nouveau quartier en devenir. Bien plus, un pôle de densification pourrait être érigé à l’extrême est du parcours afin d’aider à rentabiliser l’opération du réseau structurant en facilitant le rééquilibrage des usagers dans les deux sens à toute heure du jour.

Projets urbains

La société montréalaise possède suffisamment d’expérience en matière de grands projets urbains réussis pour nous permettre d’espérer. En plus d’Expo 67 et des Olympiques de 76, qu’il suffise de mentionner le réaménagement du Vieux-Port de Montréal, le Quartier international de Montréal (le QIM), le Quartier des spectacles, l’opération 20 000 logements du tandem Doré/Lavallée dans les années 90, le projet de requalification du secteur des usines Angus dans l’Est de la ville… N’est-il pas temps de ressusciter le Plan vert et bleus pour mieux civiliser les contacts entre ville et fleuve ?

Ville de Montréal

À Québec, dans notre capitale nationale, six grands chantiers réussis auront fait la démonstration du pouvoir de la vision des urbanistes municipaux, de la résilience des administrations politiques, du consentement des résidents, de l’intelligence des donneurs d’ouvrage et du génie créateur des professionnels missionnés pour en élaborer les plans de mise en œuvre. Le parachèvement de la colline Parlementaire, le « Nouvo » Saint-Roch et son Jardin Jean-Paul L’Allier, la renaissance du Vieux-Québec Basse-Ville et le retour des trains au centre des affaires, la promenade Samuel de Champlain, la revitalisation des abords de la rivière Saint-Charles sur 30 kilomètres en espaces verts et écoquartiers, et enfin le tramway qui revient en force en respectant le tracé du réseau structurant initié en 1985 par les parcours 800/801. Un demi-siècle à tenter de civiliser le changement !

« Yes you can », dirait le Président Obama.

La ville du XXIe siècle fera partie de la solution et non du problème dans l’épineux dossier planétaire des changements climatiques et de l’urgence d’agir. Oublions l’abandon de la lutte à l’étalement urbain. Nous serions peut-être tentés, à l’aune des résultats impressionnants du télétravail, de croire que la grande ville ait terminé son rôle de creuset de civilisation, et que l’avenir soit désormais dédié à l’éclatement des métropoles, des conurbations, des capitales, des villes régionales comme des villages, alors qu’aujourd’hui nous arrivons à 80 % d’occupation urbaine de la planète par une population totale toujours croissante. En même temps, la nature et la culture nourricière n’ont jamais été aussi menacées de destruction, voire d’extinction massive in extremis. Ce n’est surtout pas le temps de dilapider sur l’ensemble du territoire les acquis urbains des établissements humains aménagés et construits au fil des derniers siècles : on ne pourrait imaginer pire scénario. 

Le grand rêve des urbanistes : à la recherche d’une sortie de crise à la fois exaltante et rassembleuse. Nous sommes tous et toutes à la recherche d’un processus pour refaire la ville sur elle-même en respectant certains principes bien connus, mais cela sera nécessairement plus long que le temps court escompté : « patience et longueur de temps font plus que force et que rage ! » selon l’adage de Lafontaine. Bon courage et surtout n’abandonnez pas, le Québec urbain vous regarde et espère un véritable chantier de la relance verte après COVID. Et dans cet univers, le choix de la technologie retenue n’est qu’une des questions à répondre, très importante nous en convenons, mais pas la seule.

 

 

 

 


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