Cette vision bucolique aurait pu ne pas exister. En effet, lorsqu’en 1992 le Canadien Pacific ferme les portes des célèbres Shops Angus, des intérêts privés se manifestent pour acheter le terrain afin d’en faire un centre commercial au milieu d’un stationnement goudronné. Cette idée inquiétante et peu intégrée à la trame urbaine sème le doute au sein de la population et interpelle la CDEC, la Corporation de développement économique et communautaire du Plateau Mont-Royal. La mobilisation s’organise. Angus doit se réinventer, oui, mais au bénéfice des communautés. Il faut créer des emplois de qualité, augmenter l’offre de logements, offrir des services de proximité et donner accès à des espaces verts. C’est ce dont la population a vraiment besoin.
Détermination
Après trois ans d’exploration et de questionnements, une nouvelle organisation voit le jour en 1995 : la Société de développement Angus (SDA). Portée par certains intervenants de la CDEC, elle acquiert lentement mais sûrement une crédibilité dans les milieux politique, communautaire et d’affaires. Son fougueux PDG, Christian Yaccarini, compte sur une équipe agile, innovante et un brin effrontée pour mener sa vision à terme. Cela porte fruit. La SDA acquiert le terrain, et une première transformation s’opère en 1998 avec la réhabilitation d’un bâtiment industriel, le Locoshop Angus. Le vestige des anciennes Shops Angus laisse place à un lieu singulier, au carrefour de l’innovation et de l’histoire. Un geste architectural audacieux d’Ædifica signé Guy Favreau, un pionnier de l’architecture verte. Il donne le ton pour la suite : quelque 20 années plus tard, le quartier Angus achève son développement, toujours soucieux de l’environnement.
Faire autrement
Outre une volonté de fer, de précieux outils ont contribué au développement de ce quartier hors du commun. Tout d’abord, l’économie sociale. Ce type de développement économique repose sur l’utilisation des ressources pour répondre à des enjeux collectifs. Les bénéfices d’une activité économique sont retournés aux collectivités, plutôt que dans les poches d’un seul individu ou des actionnaires. Le modèle coopératif illustre bien cette approche.
Plus récemment, Angus s’est tourné vers un outil juridique que l’on utilise pour préserver de grands espaces naturels : la fiducie d’utilité sociale, ou fiducie foncière. On peut simplement la résumer à une fiducie qui n’a pas de propriétaire, mais qui est administrée par des fiduciaires qui veillent au maintien de sa vocation. La Fiducie d’utilité sociale Angus joue le rôle de gardien du phare du quartier. Elle acquiert et protège le patrimoine.
Ainsi, au fur et à mesure que les projets immobiliers arrivent à maturité, ceux-ci sont transférés à la fiducie, créant un patrimoine inaliénable qui ne peut être morcelé ou modifié. De plus en plus d’organisations ont recours à cet outil ingénieux pour, notamment, préserver l’accès à du logement abordable.
L’humain, avant tout
Un autre atout important qui a contribué au succès du Technopôle Angus : sa conception inspirée du design thinking, ou pensée design. Ce type d’approche en conception prend tout d’abord en compte l’expérience des usagers afin de concevoir une solution utile, réaliste et durable. Ainsi, aux intrants conventionnels (ressources, budget, règles d’urbanisme, normes de construction, etc.) s’ajoutent les besoins des collectivités. L’équipe de conception, multidisciplinaire, doit faire preuve d’empathie, travailler en collaboration plutôt qu’en vase clos et cocréer avec les parties prenantes. Par la suite, cette vision commune est prototypée, testée et validée. La solution évolue sous une forme itérative, où d’éventuels écueils deviennent à leur tour des intrants qui contribuent à optimiser la solution.
Le marché du vendredi – Source : Société de développement Angus
Depuis ses balbutiements en 1992, Angus s’est toujours prévalu instinctivement du design thinking. Le Technopôle est reconnu comme étant un vaste laboratoire heuristique de développement urbain. Il est cité, étudié et analysé de Montréal à Séoul, en passant par Carthagène. Pour la seconde phase de son développement, amorcée en 2013, c’est la firme Provencher_Roy qui a conçu le plan d’aménagement. Trois grands principes ont guidé sa conception. Tout d’abord, l’analyse du milieu, son histoire et ses caractéristiques. Puis, le développement urbain durable, inspiré des meilleures pratiques d’ici et d’ailleurs. Finalement, la conception d’un programme structurant, mais flexible, qui évolue au fil du temps. L’audacieuse proposition a reçu la certification LEED-ND v4 Platine, qui atteste la durabilité des quartiers et la prise en compte des besoins des communautés. Et elles sont bien là, ces communautés, à évoluer dans ce quartier qui fait désormais partie intégrante de l’horizon montréalais, où l’on a réussi à conjuguer rentabilité, environnement et bien-être de la population.
Angus aujourd’hui, ce sont des centaines d’unités d’habitation pour les familles et les étudiants. Des organisations communautaires qui veillent sur la population. Des dizaines de commerces tenus par des entrepreneurs indépendants. Plus de 75 entreprises. De nombreux services en santé. Des espaces verts, d’ingénieux mécanismes pour limiter les impacts environnementaux et des constructions de haute qualité. Mais, surtout, des milliers de gens qui fréquentent quotidiennement un quartier bâti pour eux.