Dépasser les normes

LEED en Amérique du Nord, Passivhaus en Allemagne, HQE en France, BREEAM au Royaume-Uni… Si ces certifications instruisent la pensée pour concevoir des bâtiments plus respectueux de l’environnement et de leurs occupants, elles alimentent aussi la réflexion par leurs défauts et lacunes. André Bourassa, architecte chez Bourassa Gaudreau & Associés, et Marika Frenette, architecte et urbaniste, présidente de Wigwam conseil à Nantes, livrent leurs réflexions pour s’extraire du moule des certifications et les dépasser.

Sans système d’évaluation, sur quels critères juger qu’un bâtiment est vert ou performant ? Comme on le voit avec nombre de quartiers affublés du préfixe éco sans aucune certification, le greenwashing est facile. « Les certifications ont permis d’évaluer la performance environnementale des bâtiments avec une norme plutôt que de faire de l’autoproclamation », convient Marika Frenette. Du même coup, les critères d’évaluation et les normes à atteindre ont apporté des connaissances, des solutions techniques et un langage commun autant aux professionnels du bâtiment qu’aux promoteurs, clients et constructeurs.

Au service de l’environnement ou de l’industrie ?

Les principes peuvent guider l’architecte, admet André Bourassa, séduit par la sobriété technologique et l’enveloppe performante de l’approche de la certification Passivhaus. Mais il refuse et estime contreproductif d’importer des équipements d’Europe pour obtenir la certification. Il déplore aussi le manque de cohérence de certaines certifications qui ne mettent pas de restriction sur les fenestrations ou volumes architecturaux aberrants. « On peut faire un bâtiment certifié avec un porte-à-faux disproportionné qui va nécessiter plus d’acier, ou des vitrages démesurés pour maximiser la lumière naturelle, alors que pour avoir un éclairage naturel généreux, on n’a pas besoin d’avoir des murs vitrés du plancher au plafond », illustre-t-il.

La même incohérence frappe le choix des matériaux puisqu’une certification n’exclut pas l’installation de moquette. « La moquette n’a pas de bon sens dans l’environnement intérieur, martèle-t-il, les certifications sont plus garantes de garder l’industrie de la moquette en vie que d’assurer la qualité environnementale des bâtiments. » Les intérêts de l’industrie éclipsent la vision environnementale et les manufacturiers approchent les architectes pour leur vendre des points. « Quand un représentant de briques vient au bureau, au lieu de me parler de la brique et de sa durabilité, il me dit combien de points elle donne », témoigne André Bourassa. La certification elle-même est devenue une activité économique avec des consultants, des formations et des organismes qui certifient, constate Marika Frenette.

Une portée limitée

Les bâtiments certifiés démontrent bien certaines vertus environnementales, mais ils ne représentent qu’une fraction des constructions neuves. « Quand on regarde tout ce qui se construit dans les secteurs commercial et industriel, ce n’est pas vrai que les certifications sont très prisées. Les petits commerces n’en ont rien à faire », dépeint André Bourassa. La certification de bâtiments existants est encore plus rare. « Et l’ensemble du Québec n’est pas à l’image de Montréal », ajoute André Bourassa.

André Bourassa, architecte, Bourassa Gaudreau & Associés

Manifestement, malgré la déclinaison des certifications LEED et consœurs, une partie non négligeable du cadre bâti leur échappe. Une lacune à laquelle tente de remédier la Ville de Victoriaville avec le programme Victoriaville – Habitation DURABLE. Lancé en 2011, il accorde une subvention pour un ensemble de mesures visant des équipements certifiés ENERGY STAR, l’accessibilité universelle, des valeurs de résistance thermique, l’étanchéité à l’air, des matériaux sans COV… « Ce programme fait son travail dans un marché complètement délaissé par les certifications habituelles. Il contribue à changer des pratiques et à développer une expertise à la Ville de Victoriaville », croit André Bourassa. Depuis, la MRC des Sources et d’autres municipalités l’ont adopté. « Pour une ville, le principal sujet n’est pas la certification des bâtiments neufs, mais de savoir comment massifier la rénovation. Est-ce qu’il faut avoir quelques bâtiments certifiés ou mettre en œuvre des dispositifs comme celui de Victoriaville, qui simplifie la vie des gens pour massifier la rénovation ? » commente Marika Frenette.

Agir au-delà des certifications

Les bâtiments certifiés ne souffrent pas seulement d’être noyés dans la ville, ils en sont aussi déconnectés. Or, les changements climatiques, la gestion des eaux de pluie et autres enjeux environnementaux ne peuvent se résoudre à l’échelle du bâtiment. « Agir sur les matériaux d’un bâtiment n’a pas de sens quand le problème climatique concerne toute la ville, prévient Marika Frenette.

Marika Frenette, architecte et urbaniste, présidente de Wigwam conseil

Les villes sont des systèmes complexes et interconnectés et on ne peut pas les traiter comme une addition d’éléments isolés les uns des autres. » Cela enjoint donc à agir au-delà du bâtiment, voire à l’échelle du quartier. Un bâtiment devrait étendre sa zone d’influence environnementale en établissant des connexions avec le milieu urbain alentour et avec le tissu social et entrepreneurial. « Cela amène à penser en termes de mutualisation. S’il y a une salle de réunion sous-utilisée dans un bâtiment adjacent, on peut faire une entente avant la construction pour éviter d’inclure une salle de réunion dans le nouveau bâtiment à construire, illustre-t-elle. Si on prévoit une cuisine pour les employés, on peut développer un partenariat avec une association qui viendra donner des cours de cuisine végétarienne. L’impact du bâtiment diminue parce que certains occupants vont manger végétarien. Le bâtiment a un impact et l’interconnexion rajoute un autre impact. »

Si la plus-value environnementale de cette approche par mutualisation échappe pour le moment aux certifications, en France, elle est exigée dans le développement des zones d’aménagement concerté (ZAC). Marika Frenette s’appuie sur l’exemple de la ZAC de la Prairie-au-Duc à Nantes pour en expliquer le principe. Lorsque la Ville lance un appel à projets, les promoteurs doivent proposer des mutualisations ; la compétition pour accéder aux terrains de la ZAC est telle que les promoteurs n’ont pas le choix de s’y plier. Cette approche a inversé le rapport de force entre la Ville et les promoteurs. « Au lieu de fabriquer des mètres carrés, les promoteurs se sont mis à fabriquer de l’expérience de vie, de l’innovation sociale, de la gouvernance partagée, ce qui n’était pas du tout dans leur vocabulaire, décrit-elle. Quand on commence à réfléchir comme ça, on s’aperçoit que les certifications ne sont plus aussi utiles parce qu’elles ne vont pas aussi loin. » Cette recherche de mutualisations pour étendre l’influence environnementale d’un bâtiment transforme aussi le travail de l’architecte et repousse les frontières de la conception intégrée au-delà du cercle des promoteurs, architectes, ingénieurs et constructeurs. « Les certifications ont enfermé les architectes dans des moules, or l’architecture demande une pensée holistique et ça ouvre un champ infini de création pour l’architecte », anticipe Marika Frenette.


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