Sauver nos territoires en les respectant davantage Vivre en Ville

Le 22 juin 2022, le groupe Vivre en Ville organisait une journée de travail sur les collectivités viables au Québec et ailleurs. Le message : Nous disposons de cinquante ans pour régler un problème planétaire. Un horizon commun pour les grands projets en urbanisme et en aménagement du territoire.

J’ai siégé pendant près de vingt ans au conseil d’administration de Vivre en ville à titre de bénévole : ce qui réduit sans doute notre impartialité, mais face à un problème aussi grave, les tièdes ne sont pas de grande utilité. Rarement avons-nous pu observer un OBNL à la fois aussi pertinent, compétent, rassembleur, visionnaire et bien structuré.

Quelques propos recueillis

Le directeur général de Vivre en Ville, Christian Savard, résumait d’entrée de jeu le thème porteur de cette journée de réflexion : « Changer les modes de vie, la société, le milieu en proposant une vision appropriée du futur du territoire, un geste à la fois. » Un projet politique avec un grand P ! Il suggérait aussi de s’inspirer des cultures autochtones qui effectuent de nos jours « un retour impressionnant et tellement pertinent dans le débat public ». D’ailleurs, l’Ordre des urbanistes du Québec en débattra lors de son congrès annuel 2022 sur la réconciliation.

Christian Savard, directeur général de Vivre en Ville – Photo : Vivre en Ville.

Marie-Andrée Mauger, mairesse de l’arrondissement Verdun à Montréal, résumait très bien le rôle des municipalités face au défi gigantesque. Les pistes de solution sont bien connues : transports électriques, éliminer le chauffage à l’huile et au gaz, verdir la ville… Tout nouveau projet devra passer le « test climat ».

Christophe Abrassart, professeur à l’École de design de l’Université de Montréal,a pris le relais avec sa « prospective » pour imaginer les transitions avec son Lab Ville Prospective. Nous résumons :

  • Freiner le décalage énorme entre ce qu’il faudrait faire et ce que l’on fait réellement.
  • Diviser par trois ou quatre notre empreinte actuelle concernant les gaz à effet de serre.
  • Comment être juste et équitable envers tout le monde ? Rechercher l’appui des majorités ?
  • Quelle méthodologie ? Réinventer la ville sur elle-même, comme Paris changera d’ère d’ici 2050 : un exemple à suivre en l’adaptant, bien sûr !
  • L’avenir n’est pas prédéterminé : il faut absolument « donner du sens à des futurs possibles » ; une sagesse de philosophe averti.

Il ajoute : « Remplaçons la construction étalée par le réaménagement sensé de tous les quartiers », tout en prévoyant toutes les bifurcations pour le moment imprévisibles.

La grande question qui se pose : vivre en 2050 avec 55 % de moins, ça donnera quoi ?Le changement des mentalités sera-t-il vraiment en cours ? Rappelons que nous devons atteindre la carboneutralité en 2050 (soit dans vingt-huit ans), alors que nous l’avons réduite de 3 % au cours des trente dernières années. Il faudra poser de petits gestes individuels face à de grands choix collectifs. Tout un défi !

Plusieurs intervenants de marque ont enchaîné. Jonathan Théorêt (Bureau de la transition écologique et de la résilience – Ville de Montréal), Léa Méthé (Écobâtiment) et Laurent Lévesque (UTILE) nous ont successivement parlé des meilleures façons de transformer les bâtiments existants et à venir pour réduire notre empreinte écologique. Valoriser les bâtiments existants (économie circulaire), et particulièrement les bâtiments patrimoniaux religieux pour le climat, les plus précieux mais les plus difficiles. Tous les trois rappellent l’importance d’optimiser la desserte efficace en logements des lieux d’enseignement, de les coller à proximité des réseaux de transport existants et de valoriser les rues principales comme les cœurs de villages de même que les centres-villes et de quartiers pour leur implantation. Rappelons que toutes ces interventions doivent se faire dans le respect de l’environnement et de l’esthétique des milieux d’accueil.

Photo: Vivre en Ville

De la contribution et de l’engagement des peuples autochtones

Josée Bourgeois est conseillère en culture et patrimoine auprès du Conseil Memengweshy pour le projet ZIBI. Cet ambitieux projet immobilier de 2 G $, future communauté de 34 acres, est planifié sur l’ancien site industriel Eddy, en plein centre de la rivière des Outaouais, entre Gatineau et Ottawa. Bien sûr, ce site ne ressemblait en rien au lieu de rencontre traditionnel entre autochtones et non-autochtones (rencontres diplomatiques et commerce des fourrures en premier lieu). Puis, ce fut la vocation industrielle avec la naissance de l’exploitation forestière et de l’industrie des pâtes et papiers. Il ne restait aucune trace de l’occupation autochtone. Il s’agissait donc de réconcilier les nombreux partenaires devant un projet aussi ambitieux et d’impliquer les premiers occupants du territoire. Une sorte de projet qui ne peut et ne doit être qu’exemplaire pour concilier le passé, le présent et le futur : un projet sensible et exemplaire dans son processus de conception et d’approbation.

La communauté Memengweshy demeure le leader du projet et consulte tous les membres de la nation, incluant les autochtones, les provinces du Québec et de l’Ontario, les deux grandes villes situées sur leur frontière commune de même que la Commission de la capitale fédérale, sans compter le fait que le financement de la propriété des sols est de nature privée – un exercice de concertation complexe et fabuleux. La seule façon de faire un urbanisme remarquable puisqu’il suscite la plus large adhésion possible. Sa signature : « Vous ne pouvez réaliser un tel projet sans parler le langage de toutes les communautés impliquées » (Mme Bourgeois).

À l’image de l’entente de la Baie-James et de la Paix des braves, les autochtones ont des droits et des revenus provenant de chaque pied carré de construction. Ce projet a le mérite de relancer la résurrection des autochtones sous une autre forme en les impliquant dans l’avenir du territoire et dans le respect de leurs valeurs ancestrales1.

La transition en France

Nous commenterons le témoignage d’Emmanuelle Wargon, ex-ministre du gouvernement Macron, avec respect et concision étant donné l’autorité et l’expérience de ce personnage. La pertinence de ses propos devrait nous secouer et nous ramener sur terre tout en nous encourageant à poursuivre les efforts entrepris ici au Québec, au Canada et en Amérique.

  • Le matériau bois : en voie de s’appliquer aux nouveaux bâtiments, le bois peine et peinera encore longtemps à remplacer le béton et l’acier. Aux difficultés du marché s’ajoutent les effets des changements climatiques et des feux de forêt qui impactent les milieux naturels et les plantations.
  • Les édifices existants : la prime RÉNOVE – on parle ici d’un million de dossiers en deux ans – est très populaire. Mais elle rappelle que les gens ne le font pas seulement par souci de protéger l’environnement, mais aussi et surtout par égoïsme : on cherche à baisser la facture et à améliorer son confort.
  • Urbanisme et aménagement : c’est encore beaucoup plus compliqué de stopper l’étalement urbain. Il faut sans cesse négocier avec l’ensemble du territoire en respectant les intérêts légitimes de chacune des communes. Cela s’avère très difficile. Bonne chance ! « On s’attaque ici au rêve légitime d’une majorité de citoyens » – on se croirait au Québec !

Le sujet n’est donc pas encore mûr ! Ce serait plus populaire, selon elle, de s’attaquer à la revitalisation des espaces vacants intra-urbains et de bloquer les nouveaux espaces de type centre commercial (« mammouths ») en marge de la ville. Ici, on parle d’empiètement zéro, mais où et quand pouvons-nous l’appliquer ? D’ailleurs, la question se pose. Quel fut l’intérêt pour ce sujet lors de la dernière campagne électorale en France ? Réponse : à peu près nul, selon Annabelle Ferry, directrice Territoire et ville chez Cerema. Il faudrait au moins bloquer l’artificialisation des sols d’ici 2030 ou 2050 ?

Les villes montrent la voie

David Miller peut parler aujourd’hui avec autorité pour deux raisons précises. Il a été maire de Toronto (2003-2010) et a présidé le C40 (2008-2010). Il fut le premier au Canada à arrimer harmonieusement sa ville au lac Ontario, à se donner une structure métropolitaine multipolaire et fortement desservie par le métro et le tramway. Enfin, il avait une vision régionale et suprarégionale en préservant les terres agricoles prospères de sa périphérie et en encourageant le grand corridor vert traversant d’est en ouest le fameux « fer à cheval » (Horseshoe) consacrant l’escarpement comme corridor permanent de verdure et de biodiversité au nord et à l’ouest de la conurbation Toronto/Hamilton.

David Miller, directeur général du C40 et maire de Toronto de 2003 à 2010 – Photo : Vivre en Ville.

M. Miller occupe aujourd’hui le poste de directeur général du C40, une organisation de maires de grandes villes du monde pour faire face à la tendance dangereuse des changements climatiques actuels. Les municipalités ont à ce sujet une grande part de responsabilités et un grand éventail de moyens d’action puisqu’elles sont en première ligne des autorisations en matière d’aménagement des territoires et de la planification des moyens de transport de bientôt 80 % de la population mondiale. Il nous enjoint de « ne pas attendre, mais d’avoir du courage ». Il propose la réduction de 50 % des GES d’ici 2030. Les engagements internationaux de Glasgow sont nettement insuffisants, car ils conduiront à un réchauffement de 2,50 C au lieu de 1,50 C espérés à Paris en 2015. Il demeure positif devant les faits suivants:

  • 1 G $ d’investissement pour le bus électrique en Amérique du Sud.
  • Création récente d’un corridor pour les grands navires marchands entre Los Angeles et Shanghai (un corridor à basse, très basse et zéro émission de carbone pour leurs carburants), pour ce qu’il appelle le premier corridor vert du Pacifique reliant la Chine et les États-Unis.
  • Diminution de 30 % de la pollution dans les ports londoniens en créant une zone à ultrabasse émission avec un impact immédiat sur la santé des Londoniens.

En urbanisme plus précisément, il attribue le résultat imposant de l’amélioration continue de la qualité de vie des Torontois par le parachèvement de son système quadrillé de transport par métro, tramway et bus dans un plan métropolitain multipolaire. Cela permet de réduire les émissions en favorisant la densité et la mixité des services, tout en minimisant les déplacements le long des trajets du système léger sur rail selon un plan quadrillé. Ce plan favorise la mixité des fonctions urbaines dans chacun de ces pôles. Valérie Plante et Bruno Marchand, maires de Montréal et Québec, ont bien entendu.

Valérie Plante vise à construire 50 000 nouveaux logements le long de ses corridors de transport en commun, dont une bonne partie abordables pour faire face à la crise du logement. Elle sait que Toronto et Vancouver, malgré leurs succès, sont en proie à une inflation accélérée des prix du logement. Le grand défi sera de juguler l’étalement sans précipiter l’inabordabilité.

Bruno Marchand n’aura peut-être pas la même efficacité s’il doit composer avec une opposition majoritaire. C’est pourquoi il mentionne « l’éloge de la lenteur », en rappelant que la nouvelle ville de Québec sera construite sur des compromis acceptables à la majorité de son conseil de ville. « Il faut décarboniser les transports par le transport en commun électrique et maximiser l’utilisation de la voiture électrique. »

Bruno Marchand et Valérie Plante, maires de Québec et de Montréal – Photo : Vivre en Ville.

Pour la suite des choses

Jamais nous n’aurons disposé d’un diagnostic aussi documenté et aussi clair. Les scientifiques ont fait leur travail, et la nature parle de plus en plus fort. Malgré les évidences, la démarche à réaliser reste lourde, complexe et même périlleuse. Le maire Bruno Marchand a eu raison de conclure en affirmant : « J’ai besoin de vous pour soutenir le changement. » Il sait très bien que bientôt, à Québec, il y aura presque autant de voitures que d’habitants (700 voitures pour 1 000 habitants en 2022).

On ne sortira pas beaucoup de voitures des rues de la ville sans la collaboration avérée des automobilistes. Cela est possible, mais il faut un plan, un agenda, la collaboration de la population impliquée, des solutions crédibles et avantageuses pour la qualité de vie, les finances personnelles et l’amélioration générale de la mobilité. Les urbanistes devront réinventer le modèle métropolitain, municipal, de quartier et de tous les milieux de vie. Les fiscalistes devront rapidement aider les villes à modifier leur financement. À ce propos, la mairesse Valérie Plante a proposé à la Communauté métropolitaine de Montréal de proscrire maintenant l’empiètement des zones urbanisées sur les terres agricoles et les milieux naturels. Elle réclame la mise en force de son droit de préemption et d’acquisition des terrains vagues et souvent contaminés pour accueillir les besoins de la nouvelle urbanité.

Conclusion

Notre planète Terre n’a jamais traversé une telle période de fragilité. Elle est aujourd’hui menacée de toutes parts par la croyance erronée que la civilisation de marché orientée sur la satisfaction des besoins réels et des plaisirs farfelus nous conduira au bonheur et non directement à notre propre extinction. Quant à ceux et celles qui pensent appuyer sur le bouton rouge de la guerre thermonucléaire pour satisfaire leurs besoins de pouvoir, ce serait pure folie ! La seule guerre mondiale envisageable sera celle contre les changements climatiques et la destruction des habitats. Il nous faut désormais envisager de « réensauvager le monde », selon la méthode de David Attenborough détaillée dans une œuvre de génie, un livre engagé à lire absolument2.

 

Des défis majeurs préalables – Civiliser les marchés, « réensauvager le monde »

  • Réorienter  le système financier pour financer les dizaines de trillions de dollars d’investissements nécessaires au cours des trois prochaines décennies pour la transition vers une économie durable3
  • Juguler les augmentations de coût du foncier par le fait de domestiquer l’étalement urbain en le maîtrisant et en le redéployant vers les zones blanches à court terme, en prenant soin de maintenir une offre suffisante de nouveaux logements de qualité : une équation simple4 !
  • Compenser les propriétaires déboutés par la protection immédiate des zones humides, des forêts naturelles et des terres agricoles ? La plus urgente et complexe des questions à régler tout en étant la plus efficace à moyen terme.
  • Impliquer les nations autochtones dans la nouvelle conception des plans nationaux d’occupation et de protection des territoires ? Au plus haut niveau décisionnel ?

Ceci n’a pas la prétention d’être un article scientifique, mais plutôt une opinion, voire plus une émotion ! Ce qui n’exclut pas la véracité des tendances rapportées, largement confirmées par les experts du GIEC, ceux de l’ONU et des grandes administrations municipales, régionales, provinciales et nationales que nous avons eu le bonheur de côtoyer pendant un demi-siècle.

 

Une vie sur notre planète, par David Attenborough – D’où nous venons en chiffres :

  • 1937 : Population mondiale : 2,3 G d’habitants – Carbone dans l’atmosphère : 280 PPM de molécules – Monde sauvage subsistant : 66 %.
  • 1954 : Population : 2,7 G d’habitants – Carbone dans l’atmosphère : 310 PPM – Monde sauvage subsistant : 64 %.
  • 1960 : Population : 3 G d’habitants – Carbone dans l’atmosphère : 315 PPM – Monde sauvage subsistant : 62 %.
  • 1968 : Population : 3,5 G d’habitants – Carbone dans l’atmosphère : 323 PPM – Monde sauvage subsistant : 59 %.
  • 1971 : Population : 3,7 G d’habitants – Carbone dans l’atmosphère : 326 PPM – Monde sauvage subsistant : 58 %.
  • 1978 : Population : 4,3 G d’habitants – Carbone dans l’atmosphère : 335 PPM – Monde sauvage subsistant : 55 %.
  • 1989 : Population : 5,1 G d’habitants – Carbone dans l’atmosphère : 353 PPM – Monde sauvage subsistant : 49 %.
  • 1997 : Population : 5,9 G d’habitants – Carbone dans l’atmosphère : 360 PPM – Monde sauvage subsistant : 46 %.
  • 2011 : Population : 7 G d’habitants – Carbone dans l’atmosphère : 391 PPM – Monde sauvage subsistant : 39 %.
  • 2020 : Population : 7,8 G d’habitants – Carbone dans l’atmosphère : 415 PPM – Monde sauvage subsistant : 35 %.
Notes
1 Pour plus de profondeur, nous vous suggérons quatre ouvrages de référence en guise d’introduction : MCLUHAN, Teresa Carolyn. Pieds nus sur la terre sacrée, Éditions Denoël Lacombe, Paris, 1974 ; RALSTON, Saul John. LE GRAND RETOUR. Le réveil autochtone, Les Éditions du Boréal, 2015 ;SIOUI, Georges E. Pour une autohistoire amérindienne, Les Presses de l’Université Laval, 1989 ; DORION, Henri. Le monde autochtone du Québec, Les Éditions GID, Québec, 2021.
2 ATTENBOROUGH, David. Une vie sur notre planète,Flammarion Québec, 2021, p. 157.
CARNEY, Mark. VALUE(S): Building a better world for all, PRH Canada, 2021, chapiter 12, page 300.
4 CHAKRABARTI, Vishaan (préface de Norman Foster). A COUNTRY OF CITIES: A manifesto for urban America, Metropolis Books, 2013. Un ouvrage prémonitoire qui a inspiré l’équipe SOM de Chicago, qui a présenté sa vision du bassin du Saint-Laurent lors des congrès 2019 OUQ / ICU de Baie-Saint-Paul et de Québec.

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