Les dessous de la tour Eiffel Alex Motoc

La tour Eiffel est à l’opposé des tours infernales cinématographiques qui ont marqué nos esprits d’enfants. Forte de sa notoriété, elle exprime une sérénité architecturale et urbanistique. Construite en 1889, elle a été et demeure un défi d’ingénierie. Ouverte tous les jours, elle accueille 6 millions de touristes chaque année (10 000 à 25 000 quotidiennement).

Les racoins des ascenseurs hydrotéléphériques 

La machinerie des ascenseurs installés sur les piliers est et ouest de la tour fonctionne de la même manière qu’à sa conception. Installée au sous-sol, elle a été restaurée et informatisée, mais sa mécanique hydraulique initiale demeure. « Tous les techniciens ont l’œil et l’oreille sur la tour, s’amuse Victoria Klahr, chargée de communication et des relations médias à la Société d’exploitation de la tour Eiffel (SETE). Plusieurs des 44 employés y travaillent depuis une trentaine d’années. Ils forment les apprentis au fur et à mesure, assurant la transmission des connaissances et le bon fonctionnement. Qu’ils soient serruriers, techniciens hydrauliques, électriciens ou peintres, les employés savent faire marcher les ascenseurs. Il y a une logistique et un grand savoir-faire sur le terrain qui génèrent un réel attachement à la tour. » À titre d’exemple, elle cite la musicalité d’un ascenseur qu’il faut savoir entendre, des éléments sonores précis indiquant un bon fonctionnement ou une faille dans le mécanisme.

La machinerie nécessaire au fonctionnement des ascenseurs est une autre prouesse technique. Jusqu’en 1986, les pistons étaient mis en mouvement par un circuit hydraulique, alimenté grâce à trois gros accumulateurs d’environ 200 tonnes chacun qui assuraient à la fois la réserve d’eau sous pression (40 à 60 bars) et la fonction de contrepoids. Depuis 1986, des moteurs hydrauliques à huile haute pression ont pris le relais pour entraîner le mouvement du chariot porte-pistons, tandis que deux des trois gros accumulateurs historiques ne remplissent plus aujourd’hui que la fonction de contrepoids. – Photos : Société d’exploitation de la tour Eiffel (SETE).

Cette équipe soudée à demeure permet une autonomie lors des pannes d’ascenseur. « Depuis cent trente ans, la cinématique ou mécanique des mouvements n’a pas changé », explique Victoria Klahr. Le système de poulies est le même, mais les pièces sont changées ou entretenues constamment. Mme Klahr avoue ne pas pouvoir révéler la technique des ascenseurs, qui est tout à fait unique, mais elle la situe entre celle des premiers ascenseurs hydrauliques (avec un contrepoids permettant à l’eau contenue dans un récipient de se déverser dans un autre récipient pour faire redescendre la cage d’ascenseur) et celle des ascenseurs de montagne à vitesse rapide (comme ceux du mont Blanc, par exemple). La vitesse des ascenseurs de la tour Eiffel est de deux mètres par seconde. L’ascenseur le plus récent, qui se trouve sur le pilier nord, a soixante ans. Le pilier sud sert, quant à lui, de monte-charge pour approvisionner la tour tous les jours.

Un jeu de Meccano

Le montage hors norme de la tour a débuté par les piliers, en 1887. Tels ceux d’un jeu de Meccano, les éléments avaient été confectionnés dans une usine de Levallois-Perret, à l’ouest de Paris, où se trouvait le siège de l’entreprise. Chacune des 18 000 pièces de la tour avait été dessinée (5 300 dessins ont été réalisés) et calculée avant d’être remise à l’échelle sur plan puis construite et assemblée par groupes d’éléments d’environ cinq mètres de longueur. Trois cents ouvriers encadrés par une équipe de vétérans habitués à assembler de grands viaducs métalliques ont rassemblé toutes les pièces1.

Source : Société d’exploitation de la tour Eiffel (SETE).

Alexandre Gustave Eiffel était un entrepreneur spécialisé en charpentes métalliques. Il avait commencé sa carrière à Bordeaux à titre de responsable de la construction d’une longue passerelle de chemin de fer traversant la Garonne.

Alexandre Gustave Eiffel et ses collaborateurs. – Photo : @ Société d’exploitation de la tour Eiffel (SETE).

Inauguré le 31 mars 1889, le monument de 300 mètres, « prétexte » pour inaugurer l’Exposition universelle, devait être détruit au bout de vingt ans. Il demeurera le bâtiment le plus haut du monde jusqu’en 1929, année où le Chrysler Building de New York le surpassera de 19 mètres.

 

Au-delà de la tour

On trouve d’autres éléments et assemblages Eiffel dans des structures de bâtiments parisiens du XIXe siècle, notamment l’ancienne imprimerie-librairie-bibliothèque de la grande maison d’édition Calmann-Lévy, près de l’Opéra Garnier, dans la petite impasse Sandrié.

Détails poutres et boulons, maison Calmann-Lévy. – Photo : Le Shack, @ Julien Knaub.

Vers 1875, à la demande de l’architecte Henri Fèvre, Eiffel y a conçu de multiples éléments structurants en fer et en métal, dont des mezzanines et des colonnes servant à aménager les bibliothèques. Des voies ferrées miniatures dans le plancher seront aussi réalisées pour transporter les chariots de papier, ainsi que des monte-charges, et acheminer les livres du sous-sol où se trouvait l’imprimerie jusqu’aux premier et second étages. La maison d’édition occupera ainsi le bâtiment de 1875 à 2003.

Des similitudes se retrouvent dans plusieurs éléments de construction de la tour Eiffel et de l’ancienne maison d’édition Calmann-Lévy. Elles concernent notamment les escaliers en colimaçon, les balustrades, les poutres de fer fixées avec des boulons. Tous ces éléments ont été conçus dans les ateliers Eiffel à Levallois-Perret à la fin du XIXe siècle avant l’Exposition universelle de 1889. – Photo : Le Shack, @ Julien Knaub

Depuis 2020, Emilie Vazquez, cofondatrice avec Philippe Bourguignon du Shack, qui occupe les murs de l’ancienne maison d’édition Calmann-Lévy, l’a réaménagé en restaurant et lieu de co-working. « Je l’ai rebaptisé le Shack, explique-t-elle. J’ai vécu aux États-Unis, alors ce mot m’évoquait un lieu authentique, un refuge où l’on peut s’installer et se sentir à l’aise. »

Depuis 2020, l’ancienne maison d’édition Calmann-Lévy a été réaménagée en restaurant et lieu de co-working, rebaptisé Le Shack. – Photo : Le Shack, @ Julien Knaub.

Mme Vazquez a tenu à préserver les traces d’Eiffel tout en réhabilitant le design. « J’ai voulu garder l’histoire à l’honneur tout en offrant un confort aux visiteurs et un brin de folie architecturale intérieure, avec un design signé Sandrine Cresswell-Coblence. » Aujourd’hui, le public fréquente donc le Shack pour travailler ou se détendre tout en savourant une beauté des lieux d’hier avec ses poulies et ses rails. Une galerie d’art complète le tableau moderne.


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